Cancer pédiatrique en Loire-Atlantique : les familles mènent leurs recherches
En seulement 4 ans, 17 cas de cancers d'enfants ont été recensés par l'ARS sur le secteur de Sainte-Pazanne en Loire-Atlantique, et dans les communes alentours. Mais faute de "cause commune", Santé publique France n'a pas poursuivi les recherches épidémiologiques. Indignés, les parents ont décidé de mener leur propre enquête.
[Mis à jour le 8 janvier 2020 à 10h30]. Depuis 2015, 17 enfants sur le territoire du Pays de Retz en Loire-Atlantique (Sainte-Pazanne, St Mars de Coutais, Ste Hilaire de Chaléons et Rouans) sont atteints d'un cancer pédiatrique. Quatre sont décédés. Ce nombre de cancers est deux fois plus élevé que dans le reste de la France. Parmi ces enfants et adolescents - filles et garçons - âgés de 3 à 19 ans, 6 sont atteints d'une leucémie aiguë. Rappel des faits.
Cancers pédiatriques en Loire Atlantique : les chiffres
- Avril 2017 : premier signalement de 6 cas de cancers pédiatriques, dont 4 leucémies aiguës, à l'Agence régionale de santé (ARS) Pays de la Loire par les parents des enfants atteints. Après plusieurs mois d'investigations, l'ARS confirme l'existence d'un "cluster" de cancers. Les travaux ont "conclu à un excès de cas de leucémies sur 2 ans parmi les enfants de moins de 15 ans, par rapport aux données observées au cours des années précédentes sur ce même secteur", précise l'Agence. Toutefois, "l'analyse des facteurs de risque environnementaux n'a pas montré de cause prédominante". En effet, cette petite ville située en zone rurale, ne présente pas d'établissements ou d'industries associés à des risques d'accidents majeurs.
- 25 février 2019, 3 nouveaux cas de cancers pédiatriques, dont 2 leucémies aiguës, s'ajoutent au 6 cas déjà établis dans la municipalité.
- 1er avril 2019, 3 nouveaux cas de cancer ont été signalés par des parents habitant dans la petite ville de Loire-Atlantique.
Début des investigations
L'ARS Pays de la Loire alerte la préfecture de Loire-Atlantique et saisit l'Agence nationale Santé publique France afin de mener une étude épidémiologique pour identifier une possible source d'exposition locale commune à ces cancers d'enfant signalés. Devant l'urgence de la situation, plusieurs parents originaires de Sainte-Pazanne, tous aussi inquiets, ont constitué un collectif baptisé "Stop au cancer de nos enfants". Leur but ? Obtenir la tenue d'une réunion publique au plus vite afin d'informer tous les médecins du secteur de l'existence de ces cancers et surtout, poursuivre les investigations. "Les chercheurs doivent venir sur place et tout étudier : l'air, l'eau, ce que l'on mange…", insiste, lors d'une conférence de presse à la mairie de Sainte-Pazanne le 1er avril 2019, Marie Thibaud, maman d'Alban, un petit garçon atteint d'une leucémie. "On s'interroge, forcément, sur ce qu'on mange, les perturbateurs endocriniens, les produits d'entretien de la maison. Nous avons besoin d'une étude scientifique pour savoir s'il y a ici des facteurs qui expliqueraient ces cancers", s'inquiète une autre maman, dont le fils, victime d'un cancer, est décédé.
Une école proche d'un ancien site industriel est analysée jusqu'à fin janvier 2020
- 21 mai 2019 : le premier comité de suivi débute à Nantes. Le périmètre et les étapes de l'enquête épidémiologique ont été définis afin d'en savoir plus sur la cause de cet excès de cas dans le secteur. Le comité de suivi est censé se réunir chaque mois jusqu'à la rentrée scolaire, date fixée par Santé publique France pour remettre les premières conclusions de l'étude épidémiologique.
- Le 26 juin 2019, le Professeur Jacques Dubin, cancérologue, chirurgien maxillo-facial et ORL, est désigné comme président du comité de suivi.
Résultats des analyses
- Jeudi 29 août 2019, l'Agence régionale de santé de Loire-Atlantique dresse aux parents des enfants victimes de cancer la liste des possibles causes des cancers survenus dans le secteur de Sainte-Pazanne. L'une des pistes évoquées par l'ARS est la détection des concentrations de radon, un gaz radioactif d'origine naturelle, dans une partie de l'école Notre-Dame de Lourdes, un établissement scolaire proche d'un ancien site industriel et où sont scolarisés 4 enfants atteints d'un cancer. "Il y a aussi des lignes à haute tension aériennes et une ligne à haute tension souterraine qui passe sous la cour de l'école ainsi qu'une ancienne usine de traitement de bois à proximité. Mais elle n'émettrait apparemment plus de pollution à ce jour", souligne Johann Pailloux, porte-parole du collectif "Stop aux cancers de nos enfants". Toutefois, "l'école seule ne peut pas être à l'origine des maladies des enfants. On sait que cela ne dépend pas d'un facteur en particulier mais d'une multiplicité de facteurs qu'on peut appeler un 'effet cocktail'. Les scientifiques, eux utilisent plutôt le nom d'exposome, c'est-à-dire l'ensemble des facteurs qui amènent un organisme à se modifier", ajoute-t-il.
- Entre novembre 2019 et janvier 2020, des analyses ont lieu au domicile des 17 familles concernées et des nouvelles mesures sont réalisées au sein de l'école Notre-Dame-de-Lourdes. Ces analyses portent notamment sur les niveaux de radon, des champs électromagnétiques, de gamma, des traces métalliques ainsi que sur la qualité de l'air et de l'eau potable. "Si l'accent est mis sur le domicile c'est que, dans la littérature scientifique, on a vu que c'est d'abord au domicile qu'il faut se protéger", insistent les autorités sanitaires. D'autant que "la science ne nous a pas donné les outils pour trouver la source commune à ces cancers pédiatriques". Les résultats de ces analyses seront dévoilés en février 2020.
Arrêt de l'enquête : les parents s'indignent
"Il n'y a pas de risque commun aux dix-sept enfants malades"
- Lundi 18 novembre 2019, un cinquième comité de suivi est organisé au siège de l'Agence régionale de santé de Nantes. A l'issue de ce comité, Santé publique France confirme"un nombre de cancers pédiatriques supérieurs à la moyenne sur les sept communes entre 2015 et 2019", mais précise "qu'il n'y a pas de risque commun aux dix-sept enfants malades". L'agence nationale de santé publique décide donc ne pas poursuivre les investigations et préconise "un suivi en temps réel avec le CHU de Nantes". Si d'autres cas apparaissent, les familles concernées recevront un questionnaire, permettant de décrire l'environnement et les habitudes de vie des enfants atteints de cancer et de rechercher une sur-exposition à un ou des facteurs de risque.
Les parents ont décidé d'agir par eux-mêmes.
- En janvier 2020, les parents des enfants concernés par ces cancers pédiatriques restent sans réponse et réclament la réouverture des investigations, suspendues après avoir conclu à "la présence d'un regroupement spatio-temporel sans cause commune identifiée". Inquiets et sceptiques quant à la méthodologie de Santé publique France, ils ont donc décidé d'agir par eux-mêmes en créant le collectif "Stop au cancer de nos enfants" (créé en février 2019 à Sainte-Pazanne) et en lançant une cagnotte en ligne pour financer une enquête indépendante afin de mener de nouvelles analyses "en toute transparence et autonomie". À ce jour, plusieurs dizaines de milliers d'euros ont été collectées. Grâce à cet argent, un laboratoire a été mandaté pour analyser les cheveux (notamment la présence de pesticides, perturbateurs endocriniens) d'une vingtaine d'enfants de la commune, ainsi que pour effectuer des analyses de l'environnement (eau, sol, air, champs électromagnétiques, radons...). "Les autorités reconnaissent qu'il y a plus de cancers d'enfants ici qu'ailleurs… et pourtant la conclusion c'est on arrête tout ? Ça ne va pas. Il y a aujourd'hui de la suspicion par rapport à une volonté politique de ne pas aller chercher plus loin", s'indigne Marie Thibaud, fondatrice du collectif et maman d'Alban, atteint d'une leucémie.
- Le prochain comité de suivi aura lieu le 3 mars 2020.
Selon l'Institut national du Cancer (INCa), environ 1 700 enfants de moins de 15 ans et 700 adolescents âgés de 15 à 19 ans sont concernés par les cancers pédiatriques chaque année en France. Dans 30 % des cas, il s'agit d'une leucémie. |