"Le risque de grippe aviaire n'est pas sanitaire, il est économique"
De nouveaux foyers de grippe aviaire ont été identifiés en Dordogne et dans Les Landes. Que sait-on des virus qui ont infecté les volailles ? Quels sont les risques de transmission à l’homme ? On fait le point avec l'épidémiologiste, François Moutou.
Trois nouveaux foyers de grippe aviaire hautement pathogènes pour les volailles ont été détectés dans le sud-ouest : un en Dordogne (canards), où un premier foyer de grippe H5N1 avait été découvert fin novembre, et deux dans les Landes (pintades et canards). Ce sont les premiers cas de grippe aviaire identifiés depuis 2007. En réaction, le ministère de l'Agriculture a "immédiatement décidé du déploiement des mesures de protection destinées à prévenir le risque de propagation de la maladie dans les nouveaux foyers et dans les nouveaux départements touchés", explique un communiqué publié le 7 décembre. Ces mesures de protection prévoient l'abattage de toutes les volailles et œufs de l'exploitation, son nettoyage et sa désinfection, suivis d'un vide sanitaire de 21 jours, et de la mise en place de zones de protection d'un rayon de 3 km et de zones de surveillance à 10 km de l'exploitation.
François Moutou est docteur vétérinaire, épidémiologiste, ancien directeur-adjoint du Laboratoire santé animale de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) à Maisons-Alfort. Il est l'auteur d'un ouvrage "Des épidémies, des animaux et des hommes", aux éditions Le Pommier.
Que sait-on des virus détectés dans les élevages ?
Pour l'heure, ce que l'on peut dire c'est qu'au moins deux souches virales -H5N1 et H5N2- ont pu être identifiées dans les premiers foyers en Dordogne. Les souches virales qui ont touché les nouveaux élevages dans Les Landes et en Dordogne n'ont pas encore été précisées par le ministère. "C'est très curieux et inhabituel de voir deux souches circuler en même temps", observe François Moutou, mais aucune explication n'est pour l'heure avancée. Le virus H5N2 est d'ailleurs déjà connu pour avoir circulé en Europe sous une forme peu pathogène. Cependant, l'effet pathogène dépend certes du virus, mais aussi de l'état de santé des oiseaux ayant croisé son chemin, "de la même façon que deux personnes exposées au virus de la grippe ne seront pas forcément toutes deux infectées".
Pas un virus asiatique. Selon l'Anses, la souche virale est européenne et non asiatique. Il s'agit donc d'une souche virale retrouvée dans les élevages en Europe, indépendamment des virus qui circulent en Asie.
Des canards sauvages aux canards d'élevage. Où et comment est arrivé le virus ? Pour l'heure, impossible de le savoir. "Mais, il ne faut pas exclure les activités humaines, analyse François Moutou, avant de souligner que les premiers cas ont été découverts dans des exploitations familiales. "Dans les élevages industriels, les règles de contrôles sanitaires sont strictes. Mais dans les fermes familiales, ces règles sont moins rigoureuses. Il peut y avoir par exemple des échanges d'animaux entre voisins". En outre, le spécialiste évoque l'utilisation fréquente des canards pour la chasse dans certaines régions. Les oiseaux domestiques pouvant en fait servir d'appelants sur des plans d'eau pour attirer les oiseaux sauvages. Ainsi, ces "cousins" seraient amenés à se rencontrer sur les étangs. "C'est une hypothèse, mais il peut alors avoir des contaminations entre oiseaux sauvages et oiseaux domestiques. En buvant de l'eau contaminée, un oiseau peut être infecté par le virus par voie digestive, avant d'être ramené dans sa ferme."
La consommation des produits de la volaille présente-elle un risque ?
Comme ne cesse de le rappeler le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, "l'influenza aviaire n'est pas transmissible à l'homme par la consommation de viande, œufs, foie gras et plus généralement de tout produit alimentaire." Ce que nous confirme François Moutou : "il n'y a aucun risque pour les populations et aucun risque de transmission en mangeant de la volaille". Et celui-ci d'évoquer les précédentes épidémies de H5N1. Même dans les cas de décès asiatiques, ils étaient liés à des contacts rapprochés avec les volailles dans les marchés, dans des conditions d'hygiène médiocre.
En réalité, le risque se situe au niveau de la filière animale. Car aujourd'hui, l'enjeu – à moins d'un mois des fêtes de fin d'année - est bien de continuer à vendre du foie gras malgré les mesures de précaution, qui s'accumulent. Rappelons en effet que dès que le premier cas de grippe aviaire a été identifié, le gouvernement a interdit l'exportation d'oiseaux depuis la Dordogne et mis en place des restrictions de transports sur le territoire français en provenance de Dordogne. Par ailleurs, huit pays d'Afrique et d'Asie ont purement et simplement stoppé l'importation de volaille française ainsi que d'autres produits avicoles produits en France dont le foie gras. Parmi eux figure le Japon, premier importateur mondial de foie gras français. Alors même que la législation française interdit déjà l'importation de produits de Dordogne, on ne peut que s'étonner de cet embargo sur les produits français. François Moutou explique en effet que "les pays importateurs, qui appartiennent au même réseau de surveillance internationale, l'organisation mondiale de la santé animale (OIE), ont la possibilité de décider de ne plus importer pour répondre aux inquiétudes des consommateurs de leur pays. Ils peuvent tout bloquer. Et dans ce cas, on ne peut rien faire..." Alors, faut-il y voir un excès de protection ? Selon le spécialiste, ce sont des prétextes. Les fermetures des exportations des produits français sont davantage des mesures de protection économique, voire politique, que sanitaire. La situation est complexe, concède-t-il. "Il faut trouver le bon équilibre, entre la gestion du risque sanitaire qu'il faut prendre au sérieux et ces enjeux économiques."
Le passage du virus de l'animal à l'homme, une vraie menace ?
"Quand on étudie les virus humains, force est de constater qu'ils sont tous passés un jour par l'animal, nous explique François Moutou. Il serait donc irréaliste de dire que cela ne se produira jamais, mais on ne dispose pas d'outils statistiques qui puissent déterminer si cela sera le cas demain... ou dans 500 ans !" En attendant, ce qui est sûr, c'est que la grippe aviaire, comme les virus véhiculés par les animaux, font davantage peur que la grippe humaine, qui tue pourtant des milliers de personnes chaque année. "Oui, on a du mal avec le risque, alors que la vie est risquée ! Et quand la menace vient d'un oiseau, c'est encore plus insupportable. Cela engendre une peur complètement irrationnelle", commente François Moutou. Sans parler du spectre toujours présent de la grippe espagnole. "S'il y a bien une chose dont on soit certain aujourd'hui, c'est qu'un scenario de ce type ne pourrait pas se reproduire ! Le contexte actuel est complètement différent : on a des vaccins, des règles d'hygiène, des logistiques rodées… Aujourd'hui, nous sommes tout à fait capables de faire face à une épidémie. Il n'y pas lieu de s'alarmer. "
Suivre la situation en France sur le site du Ministère de l'Agriculture