Docteur, prescrivez-moi du sport !
Le sport sur ordonnance existe en France depuis 2012. À qui s’adresse-t-il ? Comment ça fonctionne ? Éclaircissements du Professeur Daniel Rivière, spécialiste de la médecine du sport à Toulouse.
96 % des Français considèrent qu’il s’agit d’une bonne idée. La prescription du sport sur ordonnance par un médecin généraliste dans le cas d’une maladie de longue durée ou de séquelles liées à un accident a fait l’objet d’un sondage réalisé par TNS Sofres pour l’assurance MAIF, rendu public le 1er juillet 2015. Cette enquête révèle aussi que près de deux Français sur cinq se montreraient très intéressés si leur médecin traitant intégrait une pratique sportive régulière à leur prescription, alors qu’une récente étude des Assureurs Prévention en juin 2015 montre que quatre Français sur cinq ne bougent pas assez. Le sport sur ordonnance a fait ses premiers pas à Strasbourg, ville pionnière depuis 2012 où 170 médecins généralistes sont habilités à délivrer ces ordonnances. Résultat : près de 1 000 alsaciens ont depuis bénéficié de telles prescriptions. Biarritz et Blagnac, en région Toulousaine se sont elles aussi engagées dans les programmes "sport-santé sur ordonnance". À des échelles régionales, des réseaux opérateur de liaison entre sport et santé ont vu le jour comme efFORMip en Midi-Pyrénées (Effort et Forme en Midi-Pyrénées) ou encore SAPHYR (Santé par l'Activité Physique Régulière) en Lorraine.
Pourquoi prescrire du sport ? Le concept de "sport-santé" est défini par le Ministère en charge du sport par "la pratique d’activités physiques ou sportives qui contribuent au bien-être et à la santé du pratiquant conformément à la définition de la santé par l’organisation mondiale de la santé (OMS) : physique, psychologique et sociale." En 2012, l’Académie de Médecine publie un rapport sur les intérêts des prescriptions d’activité physique. Les auteurs y expliquent que "pratiquer des activités physiques et sportives tout au long de la vie augmente l’espérance de vie en bonne santé, retarde la dépendance, et constitue un complément thérapeutique efficace." En deux mots : le sport, c’est la santé. Parmi les bienfaits du sport, les médecins recensent en effet une meilleure ventilation pulmonaire, un renforcement de l’appareil cardiovasculaires, des os et des articulations ou encore une meilleure oxygénation des tissus. Autant de résultats biologiques qui favorisent la lutte contre de nombreuses pathologies telles que les maladies cardiaques, l’obésité, le diabète, l’ostéoporose mais aussi le stress et la dépression. "Dès le jeune âge, puis poursuivies tout au long de la vie, les activités physiques et sportives doivent s’imposer dans les habitudes de chacun" concluent ainsi les auteurs du rapport.
Qui peut obtenir une ordonnance de sport ? "L’activité physique peut avoir sa place dans toutes les pathologies chroniques, mais doit être adaptée en fonction du type de la maladie", explique le professeur Daniel Rivière, chef du service d'exploration de la fonction respiratoire et de médecine du sport de l'hôpital Larrey de Toulouse, coauteur du rapport de l’Académie de Médecine de 2012 et cofondateur du réseau efFORMip. "Il faut surtout individualiser la prescription en fonction de chaque patient", met-il aussi en garde. "Dans le cas du cancer du sein par exemple, tout le monde s’accorde pour dire que le sport est bénéfique. Mais quand il y a des métastases osseuses, les os sont fragilisés et il y a donc des interdictions. La prescription d’un sport dans le cas d’un cancer va donc dépendre du stade et de l’activité."
"Le patient ne doit pas penser qu’une heure d’activité physique par jour lui donne le droit de rester dans son canapé le reste de la journée !"
De l’ordonnance à la pratique. Dans le cas d’une maladie chronique (aussi appelée Affection Longue Durée ou ALD), le patient peut se voir proposer une prescription de sport par son médecin. Celui-ci doit avoir suivi une formation pour être habilité à prescrire une activité physique. L’ordonnance d’un sport ressemble à celle d’un médicament : "pour un médicament, le médecin inscrit sur l’ordonnance le nom, la posologie, la durée, la fréquence, le contexte (à jeun, pendant le repas…). Pour un sport, de la même manière, il va inscrire la nature de l’activité, l’intensité de la séance, la durée, la fréquence et le contexte (tout seul, dans une structure voire dans un centre spécialisé)", détaille le professeur Rivière. La prescription d’un sport peut parfois même remplacer les traitements : "c’est le cas dans certains diabète de type 2 où une association entre activité physique, contrôle de l’alimentation et de la glycémie peut se substituer aux médicaments", salue le professeur Rivière. Mais avant toute prescription, le médecin fournit des conseils fondamentaux d’hygiène de vie : "il explique au patient l’importance d’une alimentation équilibrée, d’un sommeil réparateur et de la lutte contre la sédentarité. Le patient ne doit pas penser qu’une heure d’activité physique par jour lui donne le droit de rester dans son canapé à regarder la télévision le reste de la journée !", souligne le professeur. Dans le cas d’un sport encadré par une structure ou un centre spécialisé pour les pathologies les plus sévères, un éducateur médico-sportif adapte la prescription du médecin aux difficultés du malade et l’accompagne dans sa pratique et dans sa progression.
Natation, vélo, marche nordique… il y en a pour tous les goûts. Le sport prescrit dépendra évidemment des capacités du patient. Les sports les plus fréquemment prescrits sont en réalité "les plus faciles à réaliser : marche, natation, marche nordique, vélo, aquagym, aquabiking, gymnastique mais aussi tai-chi ou qi gong…", révèle le professeur Rivière. Autre critère primordial dans le choix du sport : l’envie du patient. "Quel que soit le sport, il faut qu’il soit prescrit en fonction des goûts de la personne, qu’elle y trouve du plaisir et que ce soit ludique." La prescription doit également être réaliste : "même s’il est persuadé qu’il s’agit du sport le plus adapté, le médecin ne peut pas prescrire de la natation si la piscine la plus proche du domicile du patient se situe à 50 kilomètres", souligne encore le professeur Rivière.
"La question du financement n'est pas encore réglée... Ni celle de la formation des médecins."
Bientôt du sport sur ordonnance dans la France entière ? Pour le moment cantonnée à quelques villes, la prescription du sport sur ordonnance pourrait bientôt s’étendre sur l’ensemble du territoire. Dans le cadre de la loi Santé, un amendement a d’ailleurs été voté en avril dernier par l’Assemblée National en faveur du sport sur ordonnance à une échelle nationale. Le professeur Rivière s’avoue assez confiant : "je pense qu’il va y avoir une généralisation de cette pratique à l’ensemble de la France mais il faudra avant régler quelques questions, notamment celle du financement. Les médecins vont-ils ou non être rémunérés par l’acte de prescription ? Les structures sportives vont-elles recevoir un financement ? L’amendement voté en avril ne fait pas mention de cette question." Actuellement, les médecins et les structures sportives reçoivent des rémunérations des municipalités, des Agences régionales de Santé ou de groupes d’assurances mutualistes. Le patient n’a ainsi pas (ou très peu) d’argent à avancer pour réaliser sa prescription. Un autre problème à régler est celui de la formation des médecins : "la prise de conscience de l’intérêt du sport autant en prévention des maladies qu’en traitement commence seulement à émerger. De nombreux médecins ne sont donc pas formés et pas habilités à prescrire des activités physiques, car il n’y a pas de telles formations dans le cursus obligatoire. Même s’ils savent donner des conseils, ils délèguent souvent aux éducateurs médico-sportifs, ce que je trouve un peu dangereux", déplore le professeur Rivière. Il faudra donc régler le problème de la formation des médecins à la prescription, sans quoi ce service ne pourra pas être mis en place.
"Je ne peux pas faire de sport car je suis malade." Dernière barrière à franchir pour la réussite des prescriptions de sport : les freins déployés par les malades eux-mêmes : "les patients émettent des réserves dont le manque de temps pour la pratique d’un sport, l’absence de motivation : trop de gens pensent encore le sport n’est pas nécessaire à la santé et qu’on peut très bien vivre sans trop bouger." Il faut donc largement éduquer au sport, faire évoluer les consciences sur le lien étroit qu’il existe entre sport et santé. Enfin, une idée reçue qui a la vie dure, même parmi certains médecins, reste à combattre : "l’excuse "je ne peux pas faire de sport, car j’ai une pathologie" reste largement évoquée, notamment pour les maux de dos, alors que justement, la maladie chronique justifie la pratique du sport". Alors à quand le nouveau credo "je suis malade donc je fais du sport" ?