Faut-il craindre l’anesthésie générale des enfants ?
Les anesthésies générales pratiquées chez les jeunes enfants auraient des conséquences néfastes sur leurs cerveaux, selon une récente étude américaine. Qu’en est-il vraiment ? Explications du Pr Gilles Orliaguet, anesthésiste-réanimateur à l’hôpital Necker de Paris.
Une étude publiée dans la revue américaine Pediatrics révèle que les anesthésies générales pratiquées chez les enfants de moins de 4 ans auraient des effets néfastes sur leurs cerveaux. Des chercheurs du Cincinnati Children’s Hospital Medical Center (Ohio) ont en fait comparé le niveau de développement linguistique de 106 enfants âgés de 5 à 18 ans dont la moitié avait eu une intervention chirurgicale avant 4 ans et l’autre moitié n’avait pas d’antécédents chirurgicaux. Ils leur ont fait passer une série de tests pour évaluer les effets de l’anesthésie. En plus de la diminution des capacités d’apprentissage, une baisse de 5 à 6 points du quotient intellectuel a été constatée par les scientifiques chez les enfants qui ont été opérés avant 4 ans. Le Pr Gilles Orliaguet, anesthésiste-réanimateur à l’hôpital Necker de Paris, revient sur le sujet.
Que vous inspire cette étude ?
Gilles Orliaguet : Cette étude fait suite à un ensemble de travaux sur les risques de toxicité cérébrale de l’anesthésie chez le jeune enfant. Il reste toutefois difficile de faire la part des choses entre ce qui revient à l’anesthésie, à la chirurgie et à la maladie elle-même. Un enfant malade vient à l'hôpital en raison d'une pathologie et non pour l’anesthésie. Avant de l’effectuer, le chirurgien et l’anesthésiste s’interrogent sur la réelle nécessité de réaliser l’opération. Le cerveau d’un jeune enfant est en effet vulnérable. Lorsque cela est possible, l'intervention peut ainsi être repoussée à un âge où le cerveau sera moins fragile. Elle peut également être reportée si l’enfant a un rhume, une maladie grave qui nécessite un programme de nutrition avant la chirurgie… Il faut que le patient soit dans les meilleures conditions possibles. Pour garantir cela, une évaluation clinique du patient est réalisée lors d'une consultation d'anesthésie préopératoire au cours de laquelle lui sont expliqués les techniques, les risques et le déroulement de l’opération. Il apparaît que l’anxiété du patient est corrélée à la qualité de l’information. De plus, lorsque les parents sont angoissés, ils transmettent cette appréhension à leur enfant.
Que dites-vous aux parents inquiets ?
Il faut tout d’abord savoir que faire une opération sans anesthésie est délétère pour l’enfant et qu’il n’existe pas de "petite anesthésie" comme cela est souvent dit. Il faut une bonne anesthésie avec une bonne analgésie. Lorsque les médecins estiment qu’une anesthésie générale est nécessaire, tout est tenté pour limiter ses risques. Les médicaments les moins toxiques sont ainsi utilisés. Les expositions sont quant à elles les plus courtes possibles. Il faut en effet privilégier les techniques chirurgicales qui raccourcissent la durée d’exposition à l’anesthésie. Il est aussi essentiel de relativiser. Il y a moins de risques d'accident lors d'une anesthésie qu’avec une voiture. Ce n’est pas anodin mais s’il n’y a pas d’autres solutions, il faut la faire.
Est-il possible d’envisager plus tard d’autres méthodes comme par exemple l’hypnose, pour les interventions les plus indolores ?
Il faut réfléchir à la question. Ce n’est pas impossible mais pas pour toutes les tranches d’âge. L’hypnose conduit en fait la personne à un rêve éveillé, ce qui n'est possible qu'en obtenant un minimum de coopération de l'enfant. Il est évident que cela n'est pas réalisable avec un bébé âgé de six mois et pourtant ce sont les personnes les plus vulnérables à l’anesthésie. Par contre, il faut développer les méthodes de "distraction". Elles rendent l'approche des patients différente, les mettent en confiance et peuvent ainsi réduire les effets délétères du stress.
Pensez-vous que l’on puisse regretter dans des dizaines d’années d’avoir fait des anesthésies générales à des enfants ?
Nous n’aurons pas de regret dans dix ans car nous ne banalisons pas l'acte d'anesthésie qui est indispensable lorsque l'indication chirurgicale est posée. Il peut y avoir des "petites chirurgies" mais il n’y a pas de "petites anesthésies". De plus, les personnes sont informées des risques avant l'anesthésie. Il faut par ailleurs rappeler que la sécurité et la qualité des soins font partie des préoccupations quotidiennes des médecins anesthésistes. Ces 20 dernières années, la mortalité a diminué d’un facteur 10. Pour autant, "réduire la mortalité" liée à l'anesthésie n'est pas suffisant. Des efforts sont sans cesse réalisés pour améliorer la sécurité des soins et le confort des patients lors de l’anesthésie. Les sociétés savantes travaillent en permanence sur ces sujets. Il est également essentiel que des études qui comparent l'anesthésie générale et l'anesthésie locorégionale, mais aussi les différents médicaments, continuent d’être réalisées.