"Plus tôt le traitement est entrepris, plus efficace il est contre les troubles bipolaires"
Du diagnostic aux traitements, le Dr Christian Gay, psychiatre, a répondu à nos questions.
Quand dit-on d'une personne qu'elle est maniaco-dépressive ?
Dr Christian Gay : Aujourd'hui, on ne parle plus vraiment de troubles maniaco-dépressifs mais plutôt de troubles bipolaires de type 1. En effet, il existe différentes formes de troubles bipolaires, que l'on distingue les unes des autres d'après l'intensité et la fréquence des symptômes. De manière générale, lorsque l'on parle de troubles bipolaires de type 1, on fait référence à une alternance entre des phases d'excitation et de dépression. Entre les deux, il y a des périodes normales, que l'on appelle les intervalles libres. Si aucun traitement n'est entrepris, il y a un risque d'accélération des cycles et présence de symptômes résiduels durant les intervalles libres. C'est ainsi qu'après quelques années sans traitement, le trouble qui était périodique peut devenir chronique.
Selon l'Organisation mondiale de la santé, les troubles bipolaires sont la 6e cause de handicap dans le monde chez les personnes âgées de 15 à 44 ans et occupent la 9e position de nombre de "daly" (nombre d'années de vie perdues ou d'invalidité). En France, les troubles bipolaires de type 1 et 2 concernent entre 1% et 2% de la population.
Quelles sont les différentes formes de troubles bipolaires ?
Il en existe 5 :
Troubles bipolaires de type 1 : ce sont des troubles maniaco-dépressifs à proprement parler. Si une phrase devait résumer l'état d'esprit des patients qui en souffrent, ça serait "je suis le champion du monde toutes catégories et rien ni personne ne pourra me déloger de mon piédestal". Un sentiment d'invincibilité, de puissance caractérise le malade qui est dans un délire de grandeur.
Troubles bipolaires de type 2 : ils sont plus fréquents mais restent sous-évalués car les manifestations sont plus discrètes et moins prononcées que dans le type 1. Le tempérament de la personne qui en souffre reste assez nuancé : elle respire une certaine joie de vivre, réduit son temps de sommeil, a une sensibilité exacerbée... Ces personnes arrivent à rester intégrées mais elles peuvent facilement se mettre en péril à cause de leur optimisme naïf.
Troubles bipolaires de type 3 : ce type de troubles s'exprime par un état de surexcitation suite à la prise d'antidépresseurs.
Troubles bipolaires de type 4 ou troubles cyclothymiques. Dans ce cas, il y a alternance de phases atténuées avec des phases d'excitation et de dépression. Les personnes en souffrant sont très difficiles à vivre et ont beaucoup de mal à s'intégrer, notamment à cause de leur humeur instable. Elles se présentent sous plusieurs jours différents.
Troubles bipolaires de type 5 : ces patients sont toujours dans une phase de surexcitation, ce sont des personnes qui vivent à 200 km/h et qui ont généralement des responsabilités importantes dans le cadre de leur travail. Ce sont en quelque sorte des locomotives. Ils sont dits hyperthymiques. Par contre, ils peuvent entrer à n'importe quel moment dans une phase dépressive.
Qu'est-ce qui permet de poser le diagnostic ? Comment faire la différence avec les changements d'humeur que nous connaissons tous au gré des événements de la vie ?
C'est avant tout la multiplicité et l'intensité des symptômes qui mettent sur la voie. Par exemple, les phases d'excitation des personnes souffrant de troubles bipolaires sont quelque peu démesurées par rapport à celles que l'on peut connaître: euphorie, désinhibition, excès en tous genre, caractérisent ces phases. D'autre part, les symptômes vont s'étaler dans la durée. Ils ont donc un caractère particulièrement invalidant dans leurs manifestations, notamment dans la vie sociale, affective, professionnelle, etc.
Quels signes doivent alerter les proches ?
C'est une maladie qui commence jeune (15-20 ans) mais qui n'est diagnostiquée qu'assez tard finalement car on ne sait pas forcément que l'on est malade. Ce qui alerte le plus souvent les proches, c'est la cassure par rapport à l'éta antérieur, le changement de comportement qu'ils perçoivent chez la personne. Ils ne la reconnaissent plus. Les excès, les dépenses inhabituelles, une mise en danger de sa vie et surtout, les tentatives de suicide peuvent également être de bons indices.
50% des bipolaires font une tentative de suicide
La tentative de suicide est-elle fréquente chez les personnes souffrant de troubles bipolaires ?
La tentative de suicide est fréquente lors de périodes dépressives. Néanmoins, le risque suicidaire existe aussi lors des phases mixtes (intrication de dépression et d'excitation) ou en descente de phase maniaque.
Environ 50% des personnes souffrant de troubles bipolaires font une tentative de suicide. C'est là tout l'enjeu du diagnostic précoce car il est possible, à un niveau thérapeutique, de limiter :
- Les risques de désinsertion.
- Les risques de suicide.
- Les risques de résistance au traitement.
- Les risques de comportements dangereux, de dérives, etc.
Quelles sont les causes des troubles bipolaires ?
Elles sont multiples et variées. De manière générale, on se réfère au modèle biopsychosocial, c'est-à-dire que l'on considère les données :
Biologiques : même si on ne peut absolument pas parler de maladie génétique, la composante héréditaire est à prendre en compte car il existe des gènes de vulnérabilité, un terrain prédisposant.
Psychologiques : il peut y avoir eu des événements durant l'enfance ou l'adolescence qui fragilisent la personnalité.
Environnementales : là encore, il y a des événements qui jouent le rôle de détonateur. Cela peut être à cause d'événements stressants récurrents, de cassures de rythme, d'abus de substances psychotropes, etc.
Est-ce une maladie qui peut se soigner ?
Bien sûr, heureusement. Encore une fois, plus tôt le traitement est entrepris, plus efficace il est. Par ailleurs, le traitement est adapté selon les causes même des troubles.
La psychoéducation permet au patient d'avoir une participation active à sa prise en charge.
La prise en charge comprend trois pôles, médicamenteux, psychothérapique et éducationnel. Le plus souvent ces approches sont intriquées. Il est très réducteur de penser que seuls, les médicaments ou la psychothérapie, pourront arriver à bout de cette maladie. Chaque approche a sa place et il importe de ne pas sous-estimer la psychothérapie et les médicaments. Ces approches sont complémentaires, ce qui ne peut que contribuer à améliorer le résultat thérapeutique.
Par ailleurs, je me suis beaucoup impliqué dans l'éducation thérapeutique des patients, plus fréquemment appelée psychoéducation. Elle concerne toutes les maladies chroniques comme l'asthme, le diabète, l'hypertension artérielle, etc. Le principe de la psychoéducation est d'aider le patient à développer des compétences dans l'adaptation à sa maladie et à l'autosoin. C'est une participation active à sa prise en charge.
En quoi l'entourage peut-il être utile ?
Les proches du malade sont en quelque sorte des aidants pour lui, des aidants qui se doivent de s'informer pour accompagner. Il très fragilisant d'aider une personne atteinte de troubles bipolaires. Il faut donc se faire aider si on veut être d'une quelconque utilité. Il faut partir du principe qu'il faut se porter bien pour aider quelqu'un qui ne l'est pas à le devenir et cela passe par prendre soin de soi.