"J'ai été diagnostiquée autiste à 43 ans"
Après des années à se sentir différente des autres, l'accueil d'une jeune fille atteinte du syndrome d'Asperger en stage pousse Lali à s'interroger sur l'autisme...
Lali Dugelay garde peu de souvenir de son enfance marquée par les nombreux déménagements en raison du métier de militaire de son père. "Si j'en crois mes parents, j'étais une petite fille riante et pétillante. J'étais très heureuse dans ma famille, qui était mon refuge tandis que je vivais l'enfer à l'école", explique cette femme de 47 ans. Harcelée, elle est quotidiennement agressée verbalement et physiquement alors qu'elle fait tout pour s'invisibiliser. "A l'école, j'étais timide, effacée, mal à l'aise, avec un sentiment de ne jamais être à ma place, de toujours gêner. Je me forçais à initier des conversations et à rire avec les autres mais on me tournait toujours le dos, souvent en riant." Lali est trop bonne élève aux yeux de ses camarades.
"Qui veut être ami avec l'intello de la classe ? "
"Qui veut être ami avec l'intello à lunettes de la classe qui a toujours la bonne réponse ? On me tirait les cheveux, que j'avais très longs. On me pinçait, on me bousculait et je me retrouvais régulièrement jetée par terre." Sa situation ne s'améliore pas au collège où elle continue à être harcelée tout en étant rackettée. Elle connaît une période de répit quand elle entre en seconde. Pour la première fois, elle intègre un établissement en même temps que les autres élèves. "J'ai vécu en seconde la meilleure vie de toute ma scolarité, entourée de camarades qui comme moi étaient nouveaux dans l'établissement et, comme moi, se retrouvaient à la marge. Pour la première fois, je trouvais des points communs – l'exclusion, les moqueries – avec d'autres jeunes. Exclus à plusieurs, nous étions un groupe, ensemble, unis et j'ai même eu pour la première fois une amie."
Le 25 novembre 1992, un jour noir
Le 25 novembre 1992 est à marquer d'une pierre noire dans la vie de Lali. La jeune femme est victime d'un viol collectif à quelques pas de chez elle. Avec du recul, elle ne sait pas comment elle a fait pour ne pas sombrer. "Je crois que j'ai eu la volonté d'avancer, comme face aux moqueries et agressions que j'avais subies depuis toujours. Avancer, avancer, avancer, apprendre à vivre avec, à se convaincre que l'on n'est pas responsable de ce qui s'est passé."
"J'ai demandé à mes proches de ne plus m'appeler par mon prénom"
Bien décidée à tourner cette page douloureuse, elle demande à son entourage de ne plus l'appeler par son prénom, Aurélie, mille fois répété par mes agresseurs. "Aurélie " était associée à mes yeux à cette fille salie à jamais, aux organes génitaux meurtris à jamais, à l'âme dévastée à jamais. Alors j'ai demandé à tout le monde que l'on m'appelle Lali, le surnom que ma famille me donnait. En changeant de prénom, je changeais d'identité, je n'étais plus celle qui avait subi ce viol, je pouvais me regarder en face".
De plus en plus signes d'autisme, évidents...
Après avoir travaillé quelques années en indépendante, Lali trouve un emploi salarié fixe en 2007 mais réalise que l'entreprise n'est pas faite pour elle. "J'ai toujours excellé dans mon travail mais j'étais incapable de me lier d'amitié avec mes collègues. Je vis avec un syndrome de l'imposteur très marqué. J'ai essayé pendant 43 ans de me conformer aux autres, à ce que la société veut que vous soyez pour répondre à la "norme" à imiter, à me demander à chaque instant si je comprends ce que l'on me dit, et si je suis comprise des autres" martèle-t-elle. C'est l'accueil en stage d'une jeune fille qui était elle-même en processus de diagnostic de ce que l'on dénommait encore alors le syndrome d'Asperger qui va pousser Lali à s'interroger sur l'autisme. "Nos cerveaux étaient parfaitement connectés et tout, avec elle, semblait fluide ! Après avoir effectué des recherches et beaucoup lu sur le sujet, je me suis dit que mon profil collait à cette forme d'autisme. Je ne suis pas allée plus loin à ce moment-là." Depuis toujours, la jeune femme présente en effet des manifestations propres à l'autisme. Elle rencontre des difficultés dans les interactions sociales car elle ne comprend pas les sous-entendus, l'implicite, les non-dits et le second degré et ne sait pas non plus interpréter le langage corporel, les expressions du visage. Elle est aussi très factuelle, franche et directe. "Je ne suis pas capable de soutenir le regard de mon interlocuteur et je ne suis pas quelqu'un de tactile. Je ne sais pas exprimer mes émotions et je développe des passions très restreintes pour des sujets particuliers. Je suis également excessivement sensible aux stimuli sensoriels. Comme je cumule avec une dyspraxie, une dysgraphie, une dysphasie légère et un TDAH, le cocktail peut s'avérer parfois assez détonnant ! " raconte Lali qui a attendu encore 13 ans avant d'apprendre en 2020 qu'elle souffrait bel et bien de ce trouble du neurodéveloppement.
Une "vague de soulagement" quand le diagnostic tombe
"Lorsque le diagnostic d'autisme est tombé alors que j'avais 43 ans, j'ai été envahie par une vague de soulagement. Tout d'abord parce que je ne m'étais pas trompée sur moi-même dans mon autodiagnostic. Et puis parce que le diagnostic permettait de donner un sens à tout ce que j'avais vécu et m'offrait la perspective d'un nouveau départ en toute connaissance de cause." Cette révélation a changé dans la vie de Lali. "J'ai appris à me connaître, avec toute la complexité de mes spécificités liées à l'autisme. Je ne me fais plus violence à essayer coûte que coûte de faire comme les autres puisque j'en suis incapable. Je suis en paix avec la femme que je suis."
Vécu comme un signe, ce diagnostic a été pour elle l'occasion de prendre sa vie professionnelle en main et de ne plus souffrir dans son entreprise quittée en 2020. "En quelques semaines, j'ai développé mon activité libérale de conférencière sous le nom "Aspie at Work" (devenu depuis peu Atypie at Work), mis mon site en ligne dans la foulée et créé une chaîne YouTube pour mieux faire connaître l'autisme à travers des vidéos concrètes de mise en situation au travail. J'ai rapidement été sollicitée pour donner des conférences et prendre la parole dans les médias". Dans son ouvrage baptisé "L'autisme est mon super-pouvoir" (collection sans filtre, Ed. Jouvence), elle explique que son "handicap" la rend littéralement extraordinaire. "C'est lui qui me donne la force et l'énergie au quotidien de m'adapter à un monde neurotypique qui restera à jamais un grand point d'interrogation pour moi. C'est lui qui me tient éloignée des jugements hâtifs sur l'Autre. C'est lui qui fait que je me fiche du regard des autres et que je m'habille comme je veux, que mon cerveau est une boule à facettes pailletée plutôt qu'une ampoule basse consommation, que je suis résolument joyeuse et optimiste, Oui, l'autisme est bien mon super-pouvoir. Je ne dis pas UN super-pouvoir, mais MON super-pouvoir car chacun sa façon de le vivre" conclut Lali qui est enfin à sa place.