L'histoire de Bastien, atteint du syndrome de Diogène : "Je ne trouvais plus la poubelle, alors j'ai jeté les déchets par terre"
Objets entassés, montagnes de déchets, appartement insalubre… Bastien a souffert du syndrome de Diogène pendant huit ans. Il raconte cet engrenage.
Bastien, 44 ans, a vécu pendant huit ans avec le syndrome de Diogène, un trouble du comportement souvent caricaturé et incompris, qui se traduit par l'accumulation compulsive d'objets et de déchets, souvent associée à un manque d'hygiène corporelle et domestique. Pourtant, à l'origine, rien ne le prédisposait à développer ce syndrome.
La descente aux enfers
Alors qu'il était à la tête d'une rôtisserie sur les marchés en région parisienne, qu'il gagnait 5000€ par mois et partait en voyage plusieurs fois par an, Bastien est tombé dans l'alcoolisme, ce qui lui a valu de perdre son permis de conduire à deux reprises. Il a donc vendu son entreprise.
"Du jour au lendemain, je me suis retrouvé dans la précarité, quasiment à la rue. J'ai perdu mes collègues, des amis, des centaines de clients, des voisins… Je me suis isolé, je n'avais plus aucun projet. Je me suis rapproché de la grande distribution pour postuler à un poste chef de rayon mais tous les responsables des enseignes m'ont rétorqué que je ne parviendrais pas à accepter les ordres puisque j'avais été chef d'entreprise. Le temps passait, je suis resté près de huit mois sans activité. En tant qu'ancien entrepreneur individuel, je n'avais pas droit au chômage et je n'ai touché le RSA qu'au bout du troisième mois. En attendant, j'allais aux Restos du cœur et à l'épicerie sociale pour pouvoir me nourrir" retrace-t-il. C'est là que le calvaire a commencé. Il se met à ramasser des objets à droite, à gauche, des chaises en plastique, des morceaux de bois pour en faire des étagères, des coussins… bref, des choses dont il pensait avoir besoin tôt ou tard. Ces objets s'entassent dans son studio de 25m2.
"C'est comme si un fil s'était déconnecté dans mon cerveau, je faisais un blocage"
Dans le même temps, il retrouve un emploi en intérim dans le déchargement de camions. "J'y mettais toute mon âme mais je rentrais chez moi épuisé, avec de grosses douleurs physiques. Je faisais de moins en moins le ménage, je consommais de plus en plus d'alcool et j'ai sombré dans la dépression. J'étais dans le déni, j'achetais des sacs poubelle résistants mais quand je voulais m'y mettre, je n'y arrivais pas. C'est comme si un fil s'était déconnecté dans mon cerveau, je faisais un blocage. Comme je ne trouvais plus la poubelle, j'en suis venu à jeter des déchets par terre."
Quatre ans plus tard, Bastien a pris conscience de l'ampleur de la situation. En cherchant "accumulation compulsive" sur un moteur de recherche, il s'est retrouvé dans la description du syndrome de Diogène. Mais, à l'époque, cette maladie était encore perçue comme celle du crado et du fainéant. Résultat, il a vécu reclus chez lui pendant toutes ces années, n'invitant personne. "Je devais pousser la porte avec mon épaule pour pouvoir rentrer dans mon appartement. Je baissais le son de la télévision quand quelqu'un passait devant chez moi pour faire comme si j'étais absent. Je vivais dans la peur et l'insécurité, les fenêtres et les volets fermés" se souvient-il. Les femmes qui ont partagé la vie de Bastien durant cette période n'ont pas dérogé à la règle. "J'avouais que mon appartement était un bordel sans nom, car je savais que si elles voyaient son état, elles ne me regarderaient plus jamais comme avant."
"Je baissais le son de la télévision pour faire comme si j'étais absent"
Pour tenter de s'en sortir, Bastien a d'abord consulté un psychiatre addictologue avant de suivre une thérapie cognitivo-comportementale (TCC). Mais aucune de ces thérapies n'a porté ses fruits. Il s'est alors tourné vers des sociétés de "nettoyage de l'extrême" dont il déplore les méthodes. "On m'a demandé s'il y avait la place pour mettre une benne en bas de chez moi, j'ai trouvé ce manque de discrétion et de bienveillance très évocateur. Tout ce qui intéresse ces sociétés, c'est de montrer des avant-après sur TikTok", dénonce-t-il. Ayant réussi à arrêter l'alcool grâce au milieu associatif, il se met en quête d'une association pour l'aider à désencombrer son appartement. Pierre Ludosky, le président de l'association "Survivre à l'insécurité" plus connue sous le nom de Diogène Asso, lui a tendu la main.
"Il est entré chez moi avec de simples sur-chaussures, il n'arborait pas de scaphandrier comme on peut le voir dans les reportages à la télévision, puis il a confirmé que je souffrais bien du syndrome de Diogène, ce que personne n'avait fait auparavant. Il a eu un meilleur rôle que tous les psychiatres et psychologues que j'avais consultés jusqu'alors" explique Bastien, plein de reconnaissance.
Un désencombrement en douceur et dans la bienveillance
Le désencombrement s'est fait en concertation avec Bastien, pour savoir ce qu'il désirait jeter ou non. "Tous les objets ont été nettoyés et reposés sur des meubles, ça a été à moi de les reposer au bon endroit quand ils sont partis" poursuit-il. Quant au prix, le petit héritage qu'il venait de percevoir de sa grand-mère s'est révélé suffisant. "Rien n'a été jeté tel quel, tout a préalablement été soigneusement emballé dans des sacs poubelle très épais et opaques afin que les voisins ne se doutent de rien." Aujourd'hui, Bastien estime être stabilisé. "Il m'arrive parfois d'avoir un peu de bordel, comme tout le monde, mais ce n'est plus une souffrance de jeter. J'ai mis en place des règles strictes : plus aucun objet au sol. Dès que la table basse est pleine, je ne pose rien au sol. Je refuse également quand on veut me donner des objets" confie-t-il. Sa situation financière s'est, elle aussi, améliorée. Désormais, il œuvre pour aider les personnes atteintes de ce syndrome.
Merci à Bastien pour son témoignage.