Clotilde Courau : "Les maladies mentales sont destructrices"
Marraine pour la première fois de la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM), Clotilde Courau se mobilise en faveur de la lutte contre les maladies mentales, souvent taboues et mal perçues. Pourtant, elles touchent 1 Français sur 5. Confrontée à ces maladies par le passé, l'actrice s'est confiée au Journal des Femmes.
Pour la première fois, Clotilde Courau est marraine pour la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM). Cette année, l'accent est mis sur la lutte contre les maladies mentales, des pathologies souvent stigmatisées, mal perçues et pourtant en hausse en pleine pandémie. Très sensible à la santé mentale, la comédienne et maman de deux enfants a subi de près les effets de la dépression par son entourage aussi bien professionnel que personnel. Elle se fait aujourd'hui porte-parole de la Fondation dans le but de briser les tabous autour des ces pathologies psychiatriques et de lever le voile sur la gêne, la honte et la culpabilité. Confidences au Journal des Femmes.
Le Journal des Femmes : pourquoi vous êtes-vous engagée en tant que marraine de la Fondation pour la Recherche Médicale et particulièrement dans ce combat autour de la santé mentale ?
Clotilde Courau : C'est une vraie chance de pouvoir travailler avec la Fondation pour la Recherche Médicale. C'est un organisme assez exceptionnel qui soutient beaucoup de travaux dans tous les domaines de la recherche médicale. Quand j'ai rencontré l'équipe de la FRM, j'ai tenu à mettre en avant la problématique de la santé mentale en France et notamment le retard dans la recherche sur ces maladies. Il faut le dire : ces maladies sont très taboues. Il y a aussi un immense problème dans notre pays sur le dépistage et la prise en charge. Il est donc important selon moi de rompre le silence, de sensibiliser le grand public à ces maladies, encore trop mal perçues.
Le Journal des Femmes : avez-vous été confrontée de près ou de loin à des troubles de la santé mentale ? Comment avez-vous vécu cette épreuve ?
Clotilde Courau : Comme pour toutes les pathologies, les maladies mentales sont très difficiles à vivre pour l'entourage. Elles sont destructrices pour les personnes qui en souffrent, les mettant dans une grande souffrance et souvent dans une situation de danger. Il faut le souligner : ce sont des maladies qui ont une forte mortalité. Et elles mettent également à mal les familles. Moi-même, j'ai été confrontée à ces maladies. Dans ma vie, j'ai rencontré des gens qui ne sont malheureusement plus là. Et puis d'autres, qui sont encore là et qui s'en sont très bien sortis. La différence entre ces personnes ? C'est qu'il y en a qui ont été diagnostiquées à temps, qui ont eu des familles autour d'elles compréhensives et solidaires, et d'autres qui ont été livrées à elles-mêmes et délaissées. C'est une cause qui me tient à cœur. Je suis maman de deux adolescentes et je sais que ces maladies se réveillent souvent à l'adolescence. Il faut être vigilant, à l'écoute et ne pas confondre un stress inhérent à la période très anxiogène dans laquelle nous vivons et une pathologie insidieuse qui pourrait s'installer. La frontière est mince, c'est vrai.
Le Journal des Femmes : quelle est la meilleure attitude à adopter face à un proche atteint d'une maladie psychiatrique ?
"Notre pays a trop de retard"
Clotilde Courau : Le plus terrible pour une personne atteinte de dépression serait d'entendre son entourage lui dire "Allez, secoue-toi !". C'est déstabilisant, voire insupportable, car une personne qui souffre est face à quelque chose qui n'est pas de sa volonté. Avoir la bonne attitude est extrêmement difficile. D'une part parce que cela fait peur, et d'autre part, car on est encore très mal informé. On ne sait pas où s'adresser. Mais comme le malade, l'entourage doit se faire aider par des spécialistes, ne pas hésiter à contacter les hôpitaux spécialisés dans ces domaines. Il faut agir, ne pas paniquer ou avoir peur de mal faire. Il n'y a pas de drame, il n'y a que des solutions.
Le Journal des Femmes : selon vous, pourquoi ces maladies sont-elles en hausse ? Pensez-vous que la pandémie que nous traversons aura des conséquences délétères sur notre santé mentale ?
"On ne naît pas schizophrène ou bipolaire. Ce sont bien des maladies, pas des traits de caractère"
Clotilde Courau : La pandémie a participé à la hausse des maladies mentales. Parce que la crise sanitaire provoque des incertitudes, des chocs émotionnels très puissants, chez les jeunes en particulier avec l'impossibilité d'aller en cours, de travailler ou de payer ses études... Toute cette pandémie provoque des situations de choc extrême qui peuvent entraîner chez les personnes plus fragiles des maladies mentales. Et j'emploie volontairement le terme "maladie" parce qu'on ne naît pas schizophrène ou bipolaire. Ce sont bien des maladies, pas des traits de caractère. Et ça, ça fait partie des messages qui n'ont pas été dits ou suffisamment répétés au grand public alors que c'est très important de le spécifier. Et c'est là que le diagnostic et les traitements sont nécessaires. Mais la pandémie a aussi contribué au fait qu'on ose de plus en plus en parler. Ce qui n'était pas encore le cas il y a un an. Ces maladies provoquent de la gêne, de la honte, du silence, comme si justement il y avait un vrai retard dans notre manière de les aborder dans notre société. On a l'impression qu'on sort à peine des idées du Moyen-Âge, de l'ordre du secret absolu, parce qu'il y a de la culpabilité et de la gêne. Nombreux sont ceux qui pensent encore que ce sont des maladies honteuses, dont il ne faudrait pas parler car il y aurait une notion d'échec. Nous ne sommes pourtant plus au temps des marabouts, du mauvais sort ou de la malchance qui s'abat sur nous. Ces maladies sont fréquentes maintenant. Nous comptons plus de 9 000 décès par suicide par an, et on estime qu'un Français sur 5 passera par un état dépressif au cours de sa vie. Et avec cette pandémie, ce chiffre doit être largement sous-estimé. Aujourd'hui, nous voyons des personnes qui sont dans un état de stress très intense. J'ai eu écho d'un jeune qui se lavait jusqu'à 150 fois les mains par jour ! Et ce choc émotionnel peut déclencher l'apparition de maladies psychiatriques. Il faut donc arrêter avec ce silence !
"On est plus avancé pour aller sur la lune que sur la perception que l'on a de ces maladies"
Le Journal des Femmes : pourquoi les maladies psychiatriques sont-elles encore mal perçues en France ?
Clotilde Courau : Ces maladies, très complexes, relèvent du domaine du cerveau. Elles font peur car le cerveau est mystérieux. Nous connaissons encore que très peu de choses sur le cerveau et sur la manière dont il fonctionne. C'est incroyable de se dire que nous sommes peut-être plus avancés pour aller sur la lune et beaucoup moins avancés sur la perception que nous avons de ces maladies. Et ce sont des maladies très insidieuses, qui s'installent progressivement sans s'en rendre compte. Voilà pourquoi le diagnostic est très important. Nous sommes peut être capables d'aller sur Mars, alors nous devrions être capables de mieux comprendre les maladies du cerveau. D'où l'importance de la recherche dans ces domaines.
Le Journal des Femmes : avez-vous peur un jour d'être atteinte d'une maladie psychiatrique ?
Clotilde Courau : J'ai peur de toutes les maladies. Parce qu'il n'y a pas une maladie mieux qu'une autre. Mais il est vrai que quand on "perd sa tête", parce que c'est un peu l'idée, ça peut faire davantage peur. On a l'impression d'être démuni.
Le Journal des Femmes : quel message souhaiteriez-vous faire passer aux proches ou aux personnes qui sont concernés par les maladies mentales ?
"Il existe aujourd'hui des médicaments qui ne sont pas des camisoles de force"
Clotilde Courau : J'aimerais leur dire que ce n'est pas une fatalité. Absolument pas. Ce sont certes des moments difficiles à passer, mais quand on est bien soigné, on peut reprendre une vie totalement normale, sans aucune conséquence. Il n'y a pas de non-retour. Je pense souvent à Camille Claudel qui, de nos jours, pourrait par exemple être prise en charge au bon moment par cette chercheuse en neurosciences que j'ai rencontrée et qui s'appelle Marie-Odile Krebs. Elle aurait pu s'en sortir. Nous avons de la chance, il existe aujourd'hui des médicaments qui ne sont pas des camisoles de force. Par contre, ça demande de la vigilance envers nos proches. Que ce soit un enfant qui a un parent dépressif ou bipolaire ou l'inverse. Parce que ça peut être très culpabilisant pour un parent d'avoir un enfant touché par ces maladies. Et il est parfois nécessaire de passer par des moments difficiles pour les malades et pour les familles et ne pas perdre foi pour envisager un mieux être et aider notre proche.
La Fondation pour la Recherche Médicale (FRM) se mobilise en faveur de la lutte contre les maladies mentales. Les dons permettent financer des travaux de recherches prometteurs et innovants pour accompagner les malades et faire, de ces maladies, un enjeu de santé publique majeure. Entre 2015 et 2019, 73 projets ont été financés. Pour permettre aux recherches les plus innovantes d'avancer, la FRM a besoin de vous. Vous pouvez faire un don ponctuel :
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Le Journal des Femmes : chacun d'entre nous peut jouer un rôle et apporter sa pièce à l'édifice dans la démocratisation de ces maladies. Que peut-on faire pour participer à ce combat que, aujourd'hui, vous représentez ?
Clotilde Courau : En parler le plus simplement et le plus sincèrement possible. Il y a heureusement en France des fondations ou des associations auxquelles on peut participer chacun à son niveau pour aider la recherche. En général, les chercheurs ne font pas que de la recherche. Ils peuvent être médecins, psychiatres, affiliés à certains hôpitaux, ouvrir des centres d'accueil pour pouvoir recevoir les familles et les personnes malades. Aider la recherche est donc fondamental. C'est aussi aider l'évolution de la communication et l'acceptation des maladies psychiatriques dans notre société. Et c'est particulièrement important aujourd'hui, à un moment où notre société est en pleine évolution, à un moment où nos paradigmes sont en train d'être totalement remis en question. Que ce soit l'économie, les perspectives d'avenir, le travail, les études… Il y a de moins en moins de certitudes et toutes ces incertitudes fragilisent. C'est donc le moment pour se mobiliser et s'unir afin de permettre une approche nouvelle de ces maladies psychiatriques. D'ouvrir le débat, soutenir la recherche et construire un avenir.
Merci à Clotilde Courau pour son témoignage. Propos recueillis le 4 mars 2021.