"Le diagnostic d'une maladie de Crohn est un tsunami" témoigne Maïlys

Maïlys a 32 ans et souffre de la maladie de Crohn depuis 3 ans. Une maladie incurable qui touche les intestins et cause des douleurs chroniques. Premiers symptômes, diagnostic, traitements, causes, alimentation... Elle raconte son quotidien au Journal des Femmes.

"Le diagnostic d'une maladie de Crohn est un tsunami" témoigne Maïlys
© Maïlys, atteinte de la maladie de Crohn

Maïlys a 32 ans, elle travaille dans un laboratoire de recherches et souffre de la maladie de Crohn depuis 3 ans, alternant des moments de poussée pendant lesquels la maladie est intense et des phases plus calmes. Rencontre. 

Le Journal des Femmes : La maladie de Crohn n'est pas toujours bien connue, pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit ?

Maïlys : Il y a environ 250 000 personnes qui souffrent de la maladie de Crohn en France. Il s'agit d'une maladie inflammatoire chronique des intestins, aussi appelée MICI. Cette inflammation peut toucher toutes les parties du système digestif, de la bouche à l'anus. Elle est incurable à l'heure actuelle, c'est-à-dire qu'on peut nous soulager mais pas nous guérir. Dans cette maladie, notre système immunitaire va être dysfonctionnel et ne va pas savoir distinguer ce qui est à protéger de ce qui est à combattre. Cela va entraîner une inflammation, un "feu" à l'intérieur avec une muqueuse intestinale fragilisée, ça peut aussi causer des ulcères, des fistules, des abcès… Comme cette maladie est chronique, elle est différente pour chaque personne et va évoluer différemment, de façon imprévisible. On alterne des phases de poussée de la maladie et de rémission, plus calme. Certains vivent plus de poussées que d'autres, chacun va avoir son évolution de la maladie. Moi, j'ai eu 8 mois de poussée en deux fois, sur mes 4 ans de maladie. Les autres périodes, j'alterne entre moments plus calmes et douleurs. 

Le Journal des Femmes : A quel âge avez-vous été diagnostiquée et comment ? 

J'ai perdu 21 kilos en 1 mois.

Maïlys : Dès le début de ma crise, j'ai été consulté un médecin qui m'a diagnostiqué une gastro-entérite classique car j'avais mal au ventre. Puis, les diarrhées ont commencé. Sur un mois, j'ai commencé à aller plus de 30 fois à la selle par jour et à émettre beaucoup de sang. Mon système digestif saignait énormément. J'ai perdu 21 kilos en 1 mois, l'alimentation était impossible je ne pouvais plus rien manger sans avoir mal, sans aller directement aux toilettes ou sans avoir envie de vomir. J'ai été très faible, anémiée, dans un état très compliqué qui a nécessité une hospitalisation assez rapidement pour au moins m'hydrater et essayer de poser un diagnostic. J'ai réalisé une coloscopie un peu plus d'un mois après avoir fait ma crise, c'était une souffrance atroce. Le gastro-entérologue a diagnostiqué une pancolite, c'est-à-dire que j'avais l'intégralité du côlon d'atteint, avec de multiples ulcères. C'est à ce moment-là qu'on m'a dit que c'était Crohn, une maladie chronique, incurable, et que chez moi c'était très sévère. Je n'ai pas été en errance de diagnostic pendant des mois, comme certains peuvent l'être, mais c'était très soudain, très dur, j'ai pris la claque de ma vie. Je n'ai mis qu'un mois à avoir un diagnostic, mais j'ai l'impression que ça a duré 6 mois car les semaines sont des mois, les mois sont des années… Je me suis dit que je ne n'allais pas tenir. J'avais 29 ans.

Le Journal des Femmes : Quels ont été vos premiers symptômes ?

Maïlys : Je n'ai pas vraiment eu de premiers symptômes, car la maladie s'est manifestée directement par une crise vraiment très brutale. La veille, je n'avais rien, et du jour au lendemain, je me suis effondrée, littéralement. Je travaille dans un laboratoire de recherches et j'ai fait un malaise là-bas et j'ai eu des douleurs abdominales très intenses. Tout cela sans symptômes annonciateurs, j'avais juste eu un peu de sang dans les selles quelques mois auparavant mais ça avait duré une journée et ça avait été mis sur le dos d'une prise d'anti-inflammatoires. 

Le Journal des Femmes : Comment ont-ils évolué ?  

Maïlys : Aujourd'hui, on considère que je suis globalement stabilisée par le traitement que je prends. Il me reste des symptômes. J'ai un inconfort digestif chronique, avec des maux de ventre, des crampes abdominales après les repas, un transit capricieux et aléatoire. Ce sont des séquelles car mon intestin a été très abîmé. J'ai aussi une fatigue et une perte d'énergie qui peuvent survenir, et ce n'est pas un type de fatigue que l'on peut combler avec une bonne nuit de sommeil. Elle me colle à la peau pendant mes phases de poussée. Heureusement, je pars d'un niveau énergétique élevé, je suis une pile électrique de base, ce qui me permet de ne pas être trop fatiguée en permanence. C'est pesant au quotidien de vivre avec des douleurs et cette fatigue.   

Le Journal des Femmes : Connaissez-vous les causes de votre maladie ? L'alimentation peut-être ?

Ça crée des questions sans réponses. 

Maïlys : Je suis non fumeuse, je ne suis pas tournée vers la nourriture industrielle de base... Or, on sait aujourd'hui que les additifs alimentaires type émulsifiants peuvent être mis en cause dans les inflammations intestinales. Je n'ai pas de cas dans ma famille proche, ni de cas de maladie auto-immune. En plus, mes deux poussées sont arrivées dans des moments où je me sentais très bien, heureuse, pas stressée. Avant ma première poussée, je rentrais de voyage, je venais d'avoir un concours, un CDI, donc je suis tombée de très haut. Lors de la deuxième poussée, je sortais d'un concert, au boulot ça se passait bien, j'avais passé une superbe journée… Je ne sais pas ce qui cause les crises ou la maladie. J'ai arrêté de chercher les "pourquoi" et je me concentre sur les "comment" : Comment vivre avec ? Comment vivre au mieux ? Comment maintenant tu avances ? Il faut laisser les "pourquoi". Mais c'est très dur quand ça vous arrive car vous vous demandez "Pourquoi moi ?". J'ai eu cette phase de questionnement au début. J'ai pris des antibiotiques jeune, j'ai été stressée dans mon adolescence, c'est peut être ça.. Ou peut-être pas, on ne sait pas. Ça crée des questions sans réponses, mais maintenant moi, je veux aller de l'avant.

Le Journal des Femmes : Quels impacts la maladie de Crohn a-t-elle sur votre alimentation ? 

Maïlys : Je sais que chez beaucoup de gens, cette maladie peut créer des troubles alimentaires ou une peur de la nourriture, c'est un gros danger, mais c'est propre à chacun. A un moment, je ne pouvais plus manger du tout, puis pendant plusieurs semaines, j'ai dû boire du Modulen®, une espèce de lait hyper protéiné qui remplace toute l'alimentation et qui est censé mettre l'intestin au repos. Après on réintroduit un régime sans résidu : le riz, les pâtes… Pas de légumes, pas de fruits. Je n'ai pas voulu avoir peur de l'alimentation. Je ne veux pas dire que c'est bien ou non, je mange équilibré comme ça je ne sais pas trop quel aliment passe mal. Car quand ça ne va pas, ça ne va pas, j'ai beau changer tout ce que je veux dans l'alimentation.

Les régimes miracles pour guérir de Crohn, je n'y crois pas.

J'ai plutôt cherché des réponses dans la science et pas dans l'alimentation car les régimes miracles pour guérir de Crohn, je n'y crois pas. Moi, je fais tout maison, je ne mange pas de plats industriels car j'ai toujours des maux de ventre après et j'évite les additifs en faisant les courses, en m'aidant avec des applications. J'évite aussi les aliments trop sucrés car c'est mauvais pour la flore intestinale. Il y a des aliments qui ne passent pas, comme les oignons ou les poivrons, puis ça passe pendant une période, puis ça ne passe plus, ça fluctue. Par exemple, j'essaye de manger les fruits et légumes un par un sinon ça ne passe pas forcément, pareil pour tout ce qui est salade composée… Chacun doit être acteur de sa maladie, certains passent par l'alimentation pour aller mieux, ils testent chaque aliment seul pour voir s'il passe bien ou non… Mais ce n'est pas mon cas, je n'ai pas poussé l'expérience jusqu'au bout. 

Le Journal des Femmes : Avez-vous changé vos habitudes de vie à cause de la maladie ? 

Les douleurs chroniques m'épuisent moralement et physiquement.

Maïlys : Au quotidien, il faut montrer un visage social, sourire, mais c'est difficile de faire ça quand on a mal, parfois du matin jusqu'au soir. Mais je ne me plains pas car j'arrive à avoir une vie à peu près ordinaire. J'ai dû m'adapter et changer mes habitudes et mon emploi du temps pour concilier la maladie et une vie "normale". Les douleurs chroniques m'épuisent moralement et physiquement. J'ai choisi de travailler comme avant mais je ne peux pas faire grand chose le soir car je suis fatiguée. Je dois choisir mes sorties, je fais une activité par jour, ou parfois une par week-end. Si je mets trop d'énergie dans les activités, j'en ai moins pour gérer la douleur. J'ai appris à dire non à des amis pour sortir, même quand ça va, pour prévenir la fatigue, et à me dire que ce n'est pas parce que j'annule telle ou telle activité que je suis une mauvaise copine. Il faut faire des choix. Au début de la maladie, je voulais que tout soit comme avant, mais on se prend un mur. Il ne faut pas faire un deuil de sa vie d'avant mais plutôt une réadaptation et une refonte en permanence car c'est une maladie chronique. 

Le Journal des Femmes : Suivez-vous un traitement médicamenteux, naturel ? Si oui, le ou lesquels ? 

Maïlys : Dès le départ, j'ai eu un traitement de première intention pour éteindre le "feu" rapidement, c'est-à-dire des cures de corticoïdes. Mais ça ne se prend pas à vie à cause des effets secondaires négatifs. Puis j'ai eu, dès le premier mois de la maladie une biothérapie, les anti-TNF alpha, pendant 18 mois. Le traitement a fini par perdre en efficacité. Aujourd'hui je suis sous Stélara, un anti-interleukine 12 et interleukine 23. Ce sont des traitements qui régulent la réponse immunitaire, qui calment la réaction trop forte de l'organisme vis à vis de lui-même en bloquant les médiateurs de l'inflammation. L'arsenal thérapeutique n'est pas illimité, même si les recherches avancent. C'est mieux d'avoir un Crohn aujourd'hui qu'il y a 10 ans. Notre qualité de vie est meilleure grâce aux traitements. Mais comme ce sont des traitements biologiques, au bout d'un moment, soit notre organisme s'habitue soit il produit des anticorps contre eux, donc on perd en efficacité. On doit donc en prendre un autre, puis un autre… C'est rare d'avoir le même traitement toute sa vie. J'ai testé l'hypnose contre les douleurs, j'ai aussi fait de l'acupuncture pour gérer les effets secondaires du traitement. Je me supplémente également en vitamine D l'hiver pour réguler mon système immunitaire, j'utilise des huiles essentielles pour mes douleurs articulaires…

 Il faut croire en soi et en sa capacité de résilience.

Le Journal des Femmes : Avez-vous un message à transmettre aux lecteurs qui souffrent peut-être aussi de la maladie de Crohn ?

Maïlys : Un malade égale une maladie, c'est-à-dire qu'il y a autant de maladies de Crohn que de malades de Crohn. Le diagnostic d'une MICI, c'est un tsunami dans une vie. On nous dit que c'est incurable, il y a des traitements lourds, les symptômes sont lourds… Mais c'est le début d'un combat et pas la fin de la vie. Rien n'est définitif : les bons moments passent, mais les mauvais passent aussi et on voit le bout du tunnel. A un moment donné, ça ira mieux, pas forcément comme avant mais mieux. Il faut toujours y croire et cultiver l'espoir même si c'est un espoir adapté. Il faut aussi oser en parler. C'est une maladie taboue, elle touche les selles, les intestins, ce n'est pas glamour. Déjà que nous n'avons pas un quotidien facile, si en plus on ne peut pas en parler… Je refuse de m'infliger une double peine, de me sentir sale ou pas en droit de parler de ma maladie. Il faut croire en soi et en sa capacité de résilience. Quand ça m'est tombé dessus, je me disais "Je n'y arriverai jamais", mais j'ai supporté. Quand j'ai passé ma première crise, je me disais "Ca sera ma seule crise, je ne pourrai pas en affronter une autre", mais je l'ai fait. S'il y en a une troisième, je ferai face. On développe un trésor de combativité et une force de résilience qu'on n'estime pas au départ. Ne baissez pas les bras, il faut garder espoir, c'est le meilleur médicament.

Propos recueillis le 10 décembre 2020.