Claire, schizophrène : "Un jour, je me suis réveillée dans un autre monde"

A 37 ans, Claire est schizophrène. Il y a 15 ans, elle s'évanouit lors d'une soirée entre amis. A son réveil, sa vie bascule. Paranoïa, hallucinations... Le diagnostic de schizophrénie tombe. Séjour en psychiatrie, aide de sa famille... Portrait.

Claire, schizophrène : "Un jour, je me suis réveillée dans un autre monde"
© Photo d'illustration - Karel Miragaya-123RF

La schizophrénie touche 600 000 personnes en France. Parmi les principaux facteurs de risque, la consommation de cannabis pendant l'adolescence. Claire Chardin en est l'exemple. A 37 ans, elle se bat contre cette maladie depuis l'âge de 22 ans. Malaise, délires paranoïaques, hallucinations, hospitalisation en psychiatrie... Son témoignage pour le Journal des Femmes brise les idées reçues sur une maladie qui fait souvent peur. Récit. 

Le Journal des Femmes : Comment avez-vous su que vous étiez schizophrène ?

Claire Chardin : J'ai d'abord eu un choc émotionnel. Je vivais chez mes parents et j'étais encore trop jeune pour prendre un appartement mais pour mon travail, il fallait que je me rapproche. J'ai pris mon appartement, j'avais 22 ans. Lors de soirées, je fumais du cannabis et je buvais de l'alcool. A force de faire des soirées, cela m'a donné de la paranoïa. C'est comme ça que ça a commencé.

Le Journal des Femmes : Quels ont été vos premiers symptômes ?

Claire Chardin : Pour la paranoïa, je pensais que mes voisins me regardaient alors je vivais dans le noir, je fermais mes volets. J'ai aussi eu des hallucinations. Lors d'une soirée, je suis tombée par terre et depuis ce jour-là je me suis réveillée dans un autre monde. C'était le noir total. J'avais perdu toutes les notions : je ne savais pas quel jour on était, je ne parlais plus. J'avais consommé du cannabis. Ma maman qui venait tous les jours me voir est arrivée chez moi et m'a trouvée. Elle m'a assise sur le canapé, elle a vu tout de suite que ça n'allait pas. Elle m'a amenée chez le médecin traitant qui m'a dit d'aller voir un médecin psychiatre mais je refusais, je ne voulais pas, je n'étais pas folle. Un an plus tard, en 2007, j'ai accepté. Je suis ensuite revenue habitée chez mes parents. Mon frère qui n'habitait pas en France est aussi rentré chez eux à ce moment-là et il était tout le temps derrière moi pour me faire parler puisque je ne parlais plus. J'ai fini par lui dire que j'avais besoin de me reposer et je suis partie en service de psychiatrie, à Grenoble. J'y suis restée un mois.

"J'ai dit à mon médecin traitant que ma mère voulait me tuer."

Le Journal des Femmes : Comment le médecin a-t-il posé le diagnostic de schizophrénie ?

Claire Chardin : C'est le psychiatre qui a posé le diagnostic. Il a vu que quelque chose n'allait pas. Je disais à mon médecin traitant : "Ma maman ne vous dit pas tout, elle veut me tuer, elle veut m'écraser". J'avais beaucoup d'hallucinations, beaucoup de paranoïa, j'avais très peur des méchancetés qu'on pouvait me faire. 

Le Journal des Femmes : Quels traitements vous a-t-on proposés ?

Claire Chardin : J'ai eu beaucoup de traitements en service de psychiatrie pendant un mois. Au bout d'un mois, j'ai eu des permissions et j'ai pu sortir. Je commençais à revenir à moi-même et à me demander : "Qu'est-ce que je fais là ?". Les médecins ont commencé à me mettre un traitement que j'ai toujours aujourd'hui.

Le Journal des Femmes : Comment vous sentiez-vous à la sortie de votre séjour en psychiatrie ?

Claire Chardin : J'avais l'impression d'être toute neuve, de revenir de très loin. Mais je parlais peu donc j'ai dit à ma maman de commencer à me réapprendre à parler.

Le Journal des Femmes : Connaissez-vous la cause de votre schizophrénie ? 

Claire Chardin : Les médecins pensent que c'est le cannabis qui m'a fait ça mais j'ai vu aussi un pédo-psychiatre qui a pensé à un choc émotionnel en plus. A 22 ans, j'étais très enfant, je n'étais vraiment pas mâture. On est 5 enfants, je suis la dernière et j'étais très fusionnelle avec mes parents. Et je pense que l'obligation de quitter le cocon familial et de me retrouver seule dans un appartement m'ont vraiment perturbée. 

Le Journal des Femmes : A quel âge avez-vous commencé à fumer du cannabis ? Fumez-vous toujours ?

Claire Chardin : J'ai commencé à fumer du cannabis à 15-16 ans, de temps en temps, et après de façon plus régulière quand j'ai pris mon appartement à 22 ans. J'ai arrêté le jour où je suis tombée chez moi. 

L'usage régulier du cannabis avant 18 ans multiplie par deux le risque de schizophrénie.

Le Journal des Femmes : Cela fait 15 ans que vous êtes schizophrène, êtes-vous toujours suivie en psychiatrie ?

Claire Chardin : Je vois ma psychiatre en libérale une fois par semaine et je vois un autre psychiatre l'autre semaine parce que ma maman qui avait une maladie de la moelle osseuse, la myélodysplasie, est décédée fin 2018 donc encore un choc à régler. On avait très peur pour moi que je ne tienne pas le coup mais avec l'aide de ma famille et des médecins je m'en suis sortie. J'ai quand même un cachet pour la déprime, un cachet pour la schizophrénie, un cachet le soir pour dormir. 

Le Journal des Femmes : Vous n'avez pas repris le travail. Est-ce par souhait ou par obligation à cause de votre maladie ?

Claire Chardin : C'est difficile de me remettre dans le bain pour retravailler. J'ai parfois des peurs et un peu d'angoisse d'être entourée d'autres personnes. En fait, j'y arrivais à l'époque mais depuis le décès de ma maman, je n'arrive plus par exemple à faire les courses toute seule. Je suis repartie au début de ma vie avec mes peurs donc je suis accompagnée de mon frère et mes sœurs pour m'aider.

"J'ai redécouvert à m'aimer et à aimer tout simplement."

 

Le Journal des Femmes : En 2017, vous avez sorti le livre "Mi ombre-Mi lumière", pourquoi ce titre et pourquoi avoir écrit un livre ?

Claire Chardin : En 2017, je me trouvais à moitié dans l'ombre, en retrait encore par rapport au monde. Et à moitié dans la lumière parce que j'ai redécouvert à m'aimer et j'ai appris à aimer tout simplement. Mon objectif en écrivant ce livre était de sortir tout ce que j'avais en moi parce que c'était impossible de dire : "Je suis schizophrène". J'avais très très mal. Pour mon deuxième livre "Sans ailes : Les poèmes d'une schizophrène", j'avais fait une promesse à ma maman. : celle d'écrire un livre de poèmes toutes les deux. Et le troisième, qui est en cours de correction, c'est parce qu'on m'a annoncé que j'allais être marraine donc j'ai eu envie d'écrire un livre pour enfants. 

Le Journal des Femmes : Qu'est-ce qui vous a permis d'aller mieux ? 

Claire Chardin : L'amour. L'amour de ma maman, l'aide de ma maman, il y a aussi beaucoup d'aide de mes sœurs et de mon papa qui m'accueille chez lui. 

"Moi en tant que schizophrène, j'ai peur de vous, de vos regards"

Le Journal des Femmes : Vivez-vous seule aujourd'hui ?

Claire Chardin : Non je ne vis pas seule, mes parents m'ont fait un petit appartement à côté de leur maison. Mais en septembre 2020, je vais me reprendre un appartement toute seule parce que ça va mieux mais je serai quand même chez mon papa de temps en temps pour limiter les dégâts.

livre claire chardin schizophrenie
© Editions du Panthéon

Le Journal des Femmes : Quel message avez-vous envie de passer aux lecteurs de ce témoignage ? Sur le cannabis, la schizophrénie, par rapport à votre histoire ?

Claire Chardin : Aux personnes qui fument du cannabis, je dirai que la vie c'est beaucoup de stress mais qu'ils trouvent autre chose que le cannabis comme se mettre au sport par exemple. Fumer du cannabis c'est la facilité, ça fait planer, ils pensent que ça aide mais ça enfonce notre vie. Sur la schizophrénie, je dirai que ceux qui ont le plus peur c'est nous. Moi en tant que schizophrène, j'ai peur de vous, j'ai peur des regards, et j'ai plus peur des autres qu'eux ont peur de moi quand je dis que je suis schizophrène. Aux schizophrènes, je dirai : "Battez-vous et prenez bien les traitements". Il y a quelques années, j'ai arrêté mon traitement parce que je me disais que j'allais mieux. Ma maman qui était à la maison a vu que je repartais. Mon regard était ailleurs, je ne répondais plus à mon prénom. Elle a appelé mon psychiatre et j'ai repris mon traitement. Même si c'est dur, il faut continuer le traitement parce qu'il nous permet de rester dans ce monde, en vie.

Merci à Claire Chardin, auteur des livres "Mi ombre-Mi lumière en 2017 et "Sans ailes : Les poèmes d'une schizophrène" en 2019,  aux Editions du Panthéon.