Alain, aidant d'Alzheimer : "Il faut avoir une patience sans faille"

La femme d'Alain Coullaré, Nicolle, est atteinte de la maladie d'Alzheimer. Le diagnostic est tombé quand elle a eu 72 ans. Lui s'en doutait. Quelles sont les plus grandes difficultés à surmonter ? Comment la maladie de Nicolle évolue ? Alain nous raconte son histoire et partage avec bienveillance et positivité le quotidien de sa femme.

Alain, aidant d'Alzheimer : "Il faut avoir une patience sans faille"
© Alain Coullaré

A 72 ans, Nicolle Coullaré apprend qu'elle a Alzheimer, une maladie dégénérative qui se caractérise par un déclin cognitif et des pertes de mémoire. Nicolle ne se laisse pas abattre et peut compter sur l'incroyable soutien de son mari, Alain. L'homme de 82 ans a accepté de revenir sur son histoire et nous partage, avec bienveillance et positivité, le combat de sa femme depuis 10 ans.

Le Journal des Femmes : Comment apprenez-vous que votre femme, Nicolle, est atteinte de la maladie d'Alzheimer ?

"Je ne suis pas vraiment surpris car je m'en doutais."

Alain Coullaré : Vers l'âge de 65 ans, mon épouse, Nicolle, perd de plus en plus la mémoire. Plus le temps passe et plus je trouve que ma femme manque de concentration et ne parvient plus à faire des tâches du quotidien. Je décide donc de l'emmener chez des médecins pour qu'elle puisse passer des tests spécifiques à la maladie d'Alzheimer. Ces tests sont toujours très concluants et montrent que Nicolle n'a absolument pas la maladie d'Alzheimer. "C'est peut-être une dépression", suggèrent les médecins, comme Nicolle en a déjà fait une dans les années 90.

"En plus d'être un mari, désormais, je me considère comme un aidant"

Toutefois, la mémoire de Nicolle continue à s'étioler de plus en plus. On décide donc de consulter un autre médecin qui lui conseille d'effectuer une analyse du liquide céphalo-rachidien, substance entourant le cerveau et la moelle épinière. Grâce à ce test effectué par ponction lombaire, il est possible de doser les protéines tau, des marqueurs biologiques spécifiques de la maladie d'Alzheimer. Le verdict est sans appel : Nicolle, alors âgée de 72 ans, a la maladie d'Alzheimer. Je ne suis pas vraiment surpris car je m'en doutais. Cela fait des années que je trouve qu'il y a quelque chose qui cloche. Mais le diagnostic est officiellement posé, il faut vite que je m'adapte et que je rassure ma femme, qui est très inquiète quant à son avenir. En plus d'être un mari, désormais, je me considère comme un aidant.

Comment se passent les mois qui suivent le diagnostic ? Comment Nicolle est-elle prise en charge ?

Alain Coullaré : Très rapidement, le médecin qui suit Nicolle lui propose de participer à un protocole médical de prise en charge des patients atteints d'Alzheimer pour tenter de retarder l'apparition des symptômes de la maladie d'Alzheimer et faire progresser la recherche et permettre, grâce cette expérimentation, de trouver des traitements adaptés et efficaces. Participer à un essai clinique lui fait beaucoup de bien moralement et physiquement. Elle est très entourée et extrêmement bien suivie d'un point de vue médical (prises de sang et examens cardiaques réguliers...). Par ailleurs, le corps médical nous explique bien comment fonctionne la maladie, ce qu'elle fait dans le cerveau de Nicolle, et répond à toutes nos interrogations. L'idée, c'est de mieux comprendre la maladie pour mieux la combattre. Mais depuis quelques temps, Nicolle ne fait plus partie de ce protocole médical. Je la sens moins bien, plus diminuée et vulnérable. Elle se rend davantage compte des limites que lui impose sa maladie.

Comment vivez-vous au quotidien avec votre épouse ? 

"Elle souffre et culpabilise d'oublier."

Alain Coullaré : Notre vie est à la fois différente et en même temps pas tant que ça. Nicolle reste autonome : elle sait faire sa toilette et s'habiller. En revanche, elle n'est plus capable de faire des choses très simples du quotidien, comme se servir d'un micro-ondes. Je lui explique encore et encore, mais elle oublie. Et elle souffre et culpabilise d'oublier et de ne plus se souvenir. Les conversations sont souvent décousues. C'est moi qui m'occupe de faire à manger, de faire les courses et les tâches ménagères. Elle a besoin d'aide en permanence pour effectuer des gestes de la vie quotidienne. Comme elle se plaint souvent de ne rien avoir à se mettre. Je lui propose régulièrement d'aller faire les boutiques, mais il est très difficile pour elle de faire des choix. Elle aime quelque chose, puis d'une seconde à l'autre, elle le déteste. Les médecins pensent qu'elle fait une dépression, ce qui expliquerait son manque d'intérêt à certaines choses. En revanche, elle a une chance inouïe de bien dormir et de se reposer. Tant mieux, il lui faut de l'énergie car la maladie d'Alzheimer fatigue énormément. 

"Elle est incapable de se souvenir de la date du jour"

Ce qui est le plus difficile, c'est que Nicolle a des pertes de mémoire immédiates. Ce qu'il vient de se passer, elle ne s'en souvient plus. Elle est incapable de se souvenir de la date du jour. Pourtant, elle est capable d'aller puiser dans ses souvenirs et raconter avec une précision déconcertante les voyages que l'on a fait ensemble. D'ailleurs, elle aime beaucoup voyager. Jusqu'à l'année dernière, on partait tous les ans une semaine en vacances avec des amis, cela ne lui posait pas de problèmes. Mais maintenant, nos amis ont des soucis de santé et nous, on préfère rester tranquillement, à la maison, où Nicolle a tous ses repères. 

"Elle sait qu'elle est malade, affaiblie, diminuée et ne veut pas être un poids pour moi."

Votre femme a-t-elle conscience de sa maladie ? Que fait-elle pour s'en sortir ?

© Nicolle Coullaré / Vaincre Alzheimer

Alain Coullaré : Elle s'inquiète beaucoup. Elle sait qu'elle est malade, affaiblie, diminuée et ne veut pas être un poids pour moi. Puis, parfois, elle décide de transformer ses faiblesses en forces. En 2015, elle souhaite partager son histoire et se lance dans la rédaction d'un livre. Elle hésite longtemps à m'en parler, car elle ne sent pas à la hauteur et préfère garder son projet secret. Mais hormis des problèmes techniques pour taper à l'ordinateur, elle écrit des pages et des pages et ne veut pas s'arrêter. "Encore un chapitre, me dit-elle. J'ai tellement de chose à dire". Pendant des années, elle se réfugie dans l'écriture de ce témoignage, ça lui donne la force de se battre. Puis, un jour, je lui dis de clôturer son livre car elle a de plus en plus de mal à écrire. Je me charge donc d'écrire les deux derniers chapitres qu'elle me dicte. Ce livre - "Alzheimer et moi, les autres et moi" - elle en est fière. Fière d'avoir mener à bien un projet de cette ampleur et fière d'avoir partagé avec sincérité et générosité son combat. Elle me surprend. C'est un exploit pour quelqu'un qui a la maladie d'Alzheimer de réussir à raconter une histoire, de suivre un fil conducteur et de s'y tenir, même si j'ai cru longtemps qu'elle allait devenir folle avec ce bouquin ! En 2018, je décide de financer l'édition le livre de Nicolle et comme nous sommes en relation avec l'association Vaincre Alzheimer*, je lui propose que tous les bénéfices soient reversés à la recherche en échange de la commercialisation et de la communication. 

"La chance que nous avons, c'est qu'elle reconnaît parfaitement sa famille."

Et puis, depuis peu, Nicolle va dans une unité Alzheimer dans un EHPAD un jour par semaine. Elle participe à des ateliers-mémoire et à des activités ludiques. Pour le moment, c'est suffisant pour la stimuler et maintenir son cerveau en éveil. Elle passe du bon temps avec les autres résidents. J'ai par ailleurs fait installer une télé-assistance à la maison lorsque je m'absente. Au moindre problème, elle appuie sur son bracelet qui est relié à une plateforme téléphonique et qui me prévient en cas de souci. Nicolle est très bien entourée. Notre fils appelle sa maman quasiment tous les jours et notre fille nous rend visite très souvent. La chance que nous avons, c'est qu'elle reconnaît parfaitement sa famille. Elle arrive à détecter et à identifier très rapidement les visages de ses proches. Bien sûr, c'est plus compliqué avec les personnes qu'elle voit plus rarement. 

Avez-vous envisagé que Nicolle soit placée ?

Alain Coullaré : Absolument pas. Pour le moment, je m'en occupe. J'ai la chance d'être maire de ma commune, alors j'ai du temps pour elle. Je préfère qu'elle soit près de moi, à la maison où elle peut sortir dans le jardin et profiter de la campagne. Mais bien sûr, je ne suis pas éternel. Si un jour je ne suis plus là, il faudra bien qu'elle soit placée. Ce n'est pas à nos enfants d'assumer à temps plein la charge de leur mère. J'y pense et ça me rend triste. 

"Quand elle me pose 1,2, 10 fois la même question, c'est dur de ne pas s'énerver et de garder son calme"

Quelles sont les plus grandes difficultés lorsqu'on partage le quotidien d'un malade d'Alzheimer ?

Alain Coullaré : Il faut faire preuve d'une incroyable compréhension et d'une patience sans faille. Quand elle me pose 1,2, 10 fois la même question, c'est dur de ne pas s'énerver et de garder son calme. Elle trouve que je lui réponds mal parfois et que je la réprimande, mais ça m'arrive de craquer et de m'agacer. Je sais pourtant que rien n'est de sa faute, que c'est sa maladie qui gâche tout. Le plus dur, c'est certainement de voir la personne qu'on aime, souffrir, se sentir démunie et incapable de faire les choses qu'elle adorait faire. Elle qui était passionnée de jardinage, elle ne sait plus reconnaître une fleur fanée. Mon but ultime, c'est qu'elle soit la plus heureuse et le plus longtemps possible. Je n'ai pas l'habitude de me plaindre, ce n'est pas dans mon caractère. Je ne vais pas dire que c'est tous les jours faciles, mais il y a vraiment des situations pires que celle-ci dans la vie...

* Le livre "Alzheimer et moi, les autres et moi" de Nicolle Coullaré est disponible sur le site de Vaincre Alzheimer. L'ensemble des bénéfices de la vente du livre sont reversés à la Fondation Vaincre Alzheimer pour la recherche sur la maladie.