Pourquoi les femmes sont-elles de plus en plus touchées par la BPCO ?
De plus en plus de femmes fumeuses, même jeunes, sont touchées par la BPCO. Pourtant, elles sont moins bien diagnostiquées que les hommes et moins bien informées. Explications du Dr Le Guillou, pneumologue.
{Mis à jour, 15 novembre 2016] "Sur les 15 années écoulées, malgré mes quintes de toux, mes bronchites asthmatiques et les fausses routes fréquentes qui m'étouffent, personne n'avait jamais prononcé ce mot, ni ne m'avait incitée à l'arrêt définitif du tabac. Personne ne m'a dit : ce dont vous souffrez est la conséquence majeure du tabac et il est vital d'arrêter de fumer, nous allons vous accompagner", témoigne Sylviane A., diagnostiquée en mai 2015 d'une BPCO. De même, pendant toutes ces années, il ne lui fut pas davantage expliqué que la cigarette entretenait et aggravait sa symptomatologie. "La BPCO est encore et toujours le parent pauvre des maladies chroniques", déclare le docteur Frédéric Le Guillou, pneumologue et Président de l'Association BPCO, avant de pointer du doigt "la méconnaissance générale de cette maladie et le manque de volonté politique pour la combattre, y compris dans la lutte contre le tabagisme dont on parle beaucoup mais qui ne mentionne pourtant jamais la BPCO !"
Quels sont les signes d'une BPCO chez les femmes ? La broncho-pneumopathie chronique obstructive, plus communément appelée par son acronyme, BPCO, est une maladie des poumons, grave et handicapante, caractérisée par une obstruction lente et irréversible des voies aériennes. Elle se manifeste généralement par une toux persistante et un excès de sécrétions dans les voies respiratoires. Mais en réalité ce tableau clinique est surtout observé chez les hommes. Chez les femmes, les symptômes sont bien plus insidieux, comme nous l'explique le Dr Frédéric Le Guillou. "A la différence des hommes, les femmes ne crachent pas. Le plus souvent, elles toussent et sont essoufflées, mais ce n'est pas systématique. Parfois, fatigue et symptômes dépressifs sont même les seuls signes visibles de la pathologie !". C'est ce qui explique que cette pathologie, qui touche 3,5 millions de personnes en France, demeure le plus souvent invisible (2/3 des patients ne sont pas diagnostiqués). Les médecins eux-mêmes, mal informés, restent encore beaucoup sur le stéréotype masculin du malade BPCO, déplore le spécialiste.
Les femmes, plus vulnérables. Le profil type du patient BPCO n'est donc plus un homme de 50 ans, fumeur, qui tousse et qui crache. Aujourd'hui, la pathologie s'est clairement féminisée (1 patient sur 2 est une femme), mais aussi rajeunie : "la BPCO peut apparaître dès 40 ans chez les femmes", confirme le Dr Le Guillou. De plus, dans la quasi-totalité des cas (85%), même s'il existe un terrain génétique, c'est surtout le tabac qui est à l'origine de cette pathologie. Toutes les femmes touchées sont donc des fumeuses. "En France, l'exposition à des particules irritantes dans un contexte professionnel (siderurgie, exploitations textiles...) est essentiellement une cause de BPCO chez les hommes, les femmes étant moins concernées. Par ailleurs, celles-ci ne sont pas exposées non plus via les modes de cuisson, à l'inverse de certains pays du Maghreb ou d'Asie, où l'utilisation de charbon de bois est fréquente et problématique pour les bronches", développe le pneumologue. Il faut encore souligner qu'à tabagisme égal, les femmes sont plus impactées que les hommes par la BPCO. Elles auraient en effet une sensibilité plus forte aux méfaits du tabac, se traduisant par une altération de la fonction respiratoire plus rapide. Et à une BPCO plus sévère donc.
Un test simple : la mesure du souffle. Les symptômes se développant lentement sur plusieurs années, ils passent donc le plus souvent inaperçus, tant du côté des patients, que du côté des médecins. Résultat : la BPCO n'est généralement diagnostiquée que trop tardivement, souvent à l'occasion d'une hospitalisation, une fois que la maladie est bien avancée. Et le problème, c'est qu'en l'absence de prise en charge, elle peut causer des dégâts irréversibles sur les poumons. Pour mieux la traiter, il faut donc dépister au plus tôt. Comment ? En faisant mesurer son souffle régulièrement par un professionnel de santé formé (médecin traitant, médecin du travail, pneumologue). Concrètement, il s'agit de souffler dans un appareil (le spiromètre). C'est simple, indolore et cela permet d'être fixé immédiatement, souligne le Dr Le Guillou. "Plus le diagnostic est précoce, plus la prise en charge –arrêt du tabac, mise en place d'une activité physique régulière, traitement des symptômes– est efficace."
Le poids du marketing sur les femmes. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à fumer quotidiennement (30% aujourd'hui, 27% en 2010, 23% en 2005 et... 10% dans les années 60). Un vrai problème de santé publique, d'autant plus, relève Frédéric Le Guillou, "qu'elles fument aussi des cigarettes light, donc des cigarettes plus toxiques que les classiques." Si cette toxicité n'apparaît pas dans les tests réalisés par l'industrie du tabac, elle ne fait aucun doute dans les conditions réelles. "Les femmes inhalent davantage de substances toxiques avec les cigarettes light. Alors qu'on leur fait croire le contraire... C'est une vraie arnaque marketing", déplore-t-il.
Plus globalement, cette prévalence élevée et sans cesse croissante du tabagisme féminin s'explique par l'adoption sociologique du comportement tabagique des hommes au cours des dernières décennies et par un marketing agressif des fabricants pour séduire cette cible. Ces derniers ont ainsi usé, depuis les années 20 jusqu'à aujourd'hui, de multiples stratégies, de plus en plus sophistiquées, pour pousser les femmes à fumer. La cigarette aura ainsi été au fil du temps, un outil de séduction, de beauté, d'émancipation mais aussi un allié minceur et même protecteur pour la santé, avec l'arrivée des cigarettes mentholées et light. "Le problème, c'est que tout cela conforte les femmes et réduit leur velléité pour arrêter de fumer", déplore Karine Gallopel-Morvan, Professeur à l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique et spécialiste de l'impact du marketing des paquets de cigarettes sur le comportement des fumeurs. Il existe ainsi une dissonance complète, entre ces signaux positifs et la réalité qui est que le tabac tue une personne sur deux. "D'autant plus que les messages préventifs demeurent très partiels : non seulement, les femmes ont une connaissance limitée des méfaits du tabac, on le voit par exemple avec la BPCO, mais en plus, les médecins ne sont pas toujours suffisamment impliqués", relève encore cette spécialiste.
Quelles solutions ? Partant du constat que la BPCO est une maladie fréquente, grave, coûteuse ET pourtant évitable, mais aussi qu'elle est largement sous-diagnostiquée chez les femmes, l'Association BPCO organisait début novembre 2015 un colloque au Sénat "Femmes et BPCO : qu'attend-on pour agir ?". A cette occasion, l'association a fait une série de propositions pour améliorer la situation. Parmi ces propositions, des mesures pour améliorer la prise en charge de la BPCO chez les femmes : inciter les médecins généralistes et les médecins du travail à un repérage systématique chez les femmes fumeuses. Mais aussi : aider les femmes à concilier leur maladie avec leur vie de femme, notamment en incitant les médecins du travail à convaincre les employeurs d'adapter les postes de travail des malades BPCO. "Lorsque les employeurs sont compréhensifs, ces adaptations améliorent la qualité de vie des femmes sur leur lieu de travail, et au-delà de ça leur bien-être : par exemple, une femme moins essoufflée pourra faire davantage d'activités et sortir de son isolement", décrit le Dr Le Guillou.
Autre proposition, davantage politique, celle de contrer l'influence des fabricants de tabac, en créant une agence indépendante -associant usagers, associations de malades, professionnels de santé- afin de définir et mettre en œuvre une politique nationale de lutte contre le tabac efficace et suivie. De plus, "il est nécessaire de créer des passerelles avec l'éducation nationale afin que l'éducation aux dangers du tabac soit une priorité permanente, dès l'école primaire", rapporte Frédéric Le Guillou. Une grande campagne d'information incitant à une mesure du souffle auprès du grand public serait également la bienvenue car aujourd'hui, posez la question autour de vous : personne ne connait la BPCO !, remarque le spécialiste. "La campagne radio de sensibilisation à la DMLA a été très utile, alors qu'on partait aussi d'un acronyme compliqué", remarque-t-il. C'est donc la preuve que l'on peut faire bouger les lignes.
Selon les dernières estimations de l'Inserm, le tabac tue 78 000 personnes en France chaque année. Parmi ces décès, on estime que 47 000 sont liés à un cancer consécutif au tabac, dont environ 28 000 cancers du poumon. Le tabac causerait aussi 20 000 décès par maladies cardio-vasculaires et 11 000 décès par maladie respiratoire (notamment la BPCO).
Plus d'infos sur le site de l'association BPCO
En vidéo : comprendre l'impact de la BPCO sur le quotiden