Nos cerveaux dans des frigos : les Biobanques appuient la recherche médicale
La biobanque Neuro-CEB renferme en ses congélateurs des centaines d’échantillons de cerveau destinés à la recherche médicale. Visite guidée.
Et si on offrait une deuxième vie à nos cerveaux ? Dans les Biobanques, des centaines d’échantillons biologiques sont stockés à des fins de recherche médicale. Pour améliorer les connaissances sur les maladies et pour trouver des traitements efficaces, rien de tel que de travailler directement sur des cellules ou des tissus humains. C’est le cas notamment pour les maladies neurodégénératives, responsables d’altérations cérébrales. Ainsi, le Groupement d’Intérêt Economique (GIE) Neuro-CEB, fondé en 2006 sur une initiative des associations France Alzheimer et France Parkinson, compte actuellement une collection de 460 demi-cerveaux dans ses locaux de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.
Une collection consciencieusement organisée. Issus de patients atteints de maladie d’Alzheimer, de maladie de Parkinson, de sclérose en plaques et de maladies du cervelet (les ataxies cérébelleuses), ces fragments de cerveaux sont jalousement protégés dans d’imposants congélateurs à - 80°C. Cette précieuse collection unique en France nécessite une sécurité maximale : des alarmes se déclenchent si la température des congélateurs dépasse - 65 °C ou si les climatiseurs tombent en panne. Dans les tiroirs des congélateurs : des boîtes en plastique portant chacune un numéro qui correspond à un patient anonyme. "Les chercheurs amenés à travailler sur ces échantillons ne connaissent que la maladie diagnostiquée, l’âge et le sexe de la personne", rassure Marie-Claire Artaud-Botté, coordinatrice du GIE Neuro-CEB. Sabrina Leclère, gestionnaire scientifique et technique du GIE, ouvre les boîtes avec précaution et repère les zones cérébrales qui l’intéressent parmi les tranches de cerveaux conservées dans des sachets plastiques. En effet, une zone précise peut être sélectionnée selon les besoins des différentes recherches. Dans une seconde salle, où blouses et sur-chaussures sont obligatoires pour garantir une propreté du lieu mais aussi une protection du manipulateur contre d’éventuels pathogènes, elle coupe délicatement des extraits de tranches de 20 micromètres d’épaisseur (environ trois fois plus fin que l’épaisseur d’un cheveu !) afin qu'ils soient exploitables par les chercheurs.
D’où viennent ces cerveaux ? Le patient atteint d’une maladie neurodégénérative doit être volontaire et signer un consentement. Dans le cas où le patient n’est plus en capacité d’entreprendre ces démarches, un proche peut le faire à sa place, en attestant sur l’honneur qu’il s’agit de la volonté du malade. "J’ai découvert que le don de cerveau était possible en lisant par hasard un article, en janvier 2014", explique Nadine, 61 ans, dont la mère a été diagnostiquée Alzheimer en 2001. "Maman avait toujours eu dans l'idée de donner ses organes à la science. Quand elle a commencé à s’enfoncer, elle disait constamment qu'elle voulait donner son cerveau pour aider à guérir "cette sale maladie" ! J’ai alors entrepris les démarches à sa place car elle n’en était plus capable : elle avait déjà perdu tous ses repères, ne reconnaissait plus personne, ne parlait plus, ne marchait plus."
Au décès du patient, les proches contactent un numéro d’astreinte. Un des 15 centres de prélèvement répartis sur le territoire français s’occupe alors de récupérer le corps, d’en extraire le cerveau, puis de restituer le corps à la famille pour les funérailles. "J'ai enregistré sur mon portable le numéro du GIE Neuro-CEB pour pouvoir les prévenir au plus vite lorsque maman décèdera", raconte Nadine.
Un devenir dédié à la recherche médicale. Une fois le cerveau prélevé, un des deux hémisphères permet la confirmation du diagnostic : "une confrontation des symptômes du malade exprimés de son vivant et des lésions cérébrales visibles au microscope est primordiale pour bien comprendre chaque maladie", explique Marie-Claire Artaud-Botté. Le second hémisphère servira aux chercheurs : en attendant, il est échantillonné, congelé et stocké dans le centre de la Pitié-Salpêtrière. Les scientifiques adressent alors leurs projets au GIE Neuro-CEB qui juge de la pertinence des travaux avec l’aide des associations de malades. Mais les chercheurs n’utilisent pas que des cerveaux malades : "des échantillons cérébraux de personnes saines sont aussi nécessaires pour une comparaison avec les cerveaux atteints : il s'agit des échantillons témoins indispensables à la validité de toute recherche scientifique", souligne la coordinatrice. Les résultats des travaux sont communiqués à la fois au GIE Neuro-CEB et au médecin du défunt, pour que celui-ci puisse éventuellement en informer la famille. Chacun réagit différemment devant cette possibilité. Pour Nadine, par exemple, les potentielles découvertes ne constituent pas une fin en soi : "je veux bien être prévenue, mais je ne m'attends pas à être rassurée ou inquiétée. La volonté de ma mère est la seule raison pour laquelle j’ai fait ces démarches : elle voulait être utile à la science, et ne voulait pas mourir en ayant perdu ses facultés. Au moins, avec le don de son cerveau, j'aurai répondu à un de ses souhaits."
Un avenir encourageant. Actuellement, la capacité maximale de stockage du Neuro-CEB est de 500 demi-cerveaux. "Pour nos échantillons, nous privilégions la qualité plutôt que la quantité" reconnaît Marie-Claire Artaud-Botté. Mais le GIE Neuro-CEB bénéficiera bientôt d’un agrandissement de ses locaux : de quoi provisionner de futures recherches médicales prometteuses.