Blessure d'injustice : symptômes, causes, comment guérir ?
La blessure d'injustice, appelée populairement "syndrome de Caliméro", correspond à des plaintes répétées et au sentiment permanent que tout est injuste ou inéquitable. La personne se sent victimisée. Comment la reconnaître ? L'expliquer ? Peut-on en guérir ? Tour des symptômes et des solutions avec Bruno Vibert, psychothérapeute.
La blessure d'injustice, que l'on peut appeler populairement "syndrome de Caliméro" correspond à un mal-être permanent ponctué par des plaintes répétées et un sentiment constant d'inégalité. La personne qui en souffre se sent généralement victimisée, oppressée, et surtout, ni entendue, ni comprise. Selon ses croyances, souvent infondées, elle représente un problème pour les autres, que ce soit par rapport à son cercle privé, son travail ou la société. Quels sont les symptômes d'une blessure d'injustice ? Les causes ? Peut-on en guérir ? Avec une thérapie ? De l'hypnose ? A qui en parler ? Eclairage de notre psychothérapeute Bruno Vibert.
"Ces injustices ne sont pas toujours fondées"
Définition : c'est quoi la blessure d'injustice ?
"L'action de se plaindre est un besoin que l'on a tous. Il est sain, permet de crever l'abcès, de dédramatiser une situation et de faire ce que l'on appelle un "deuil collectif". En revanche, la blessure d'injustice ou le syndrome de Caliméro correspondent à un malheur persistant ou à une plainte insistante de la part de la personne qui en souffre. La personne qui éprouve une blessure d'injustice peine à exister autrement que par ses souffrances et attend de son entourage une attention et un réconfort constants, un besoin de faire connaître ou de faire reconnaître ses blessures dues à des injustices passées qui n'ont pas été entendues, comprises ou digérées. Mais attention, ces injustices ne sont pas toujours fondées. Elles peuvent être inventées ou amplifiées par la personne qui les subit. Le sentiment d'injustice devient alors une manière d'être", définit d'emblée Bruno Vibert. Il est important de préciser qu'un syndrome n'est pas une maladie : il s'agit d'une réunion d'éléments distincts et de symptômes qu'un patient est susceptible de présenter lors de certaines pathologies ou dans certaines circonstances cliniques.
Symptômes : comment reconnaître une blessure d'injustice ?
Chez la personne qui souffre d'un syndrome de Caliméro, tout est sujet à une injustice. Sa blessure va se manifester de différentes façons, mais globalement :
- La personne a tendance à se victimiser en permanence et à prononcer des phrases telles que "c'est toujours comme ça", "je suis toujours la dernière roue du carrosse", "c'est toujours sur moi que ça tombe" ou "personne ne me comprend ou me prête attention", des expressions appartenant au champ lexical de la persécution.
- Elle éprouve un sentiment d'insatisfaction permanent. "Elle se plaint de tout, surtout des détails, et se place tout le temps en opposition à l'autre", précise notre interlocuteur.
- Elle fait régulièrement des reproches injustifiés, va râler, être de mauvaise humeur, pessimiste, tout interpréter négativement, jusqu'à atteindre une certaine rigidité envers les autres.
- Elle a une faible estime d'elle-même et reste convaincue qu'une forme de fatalité s'abat sur elle, quoi qu'elle dise et quoi qu'elle fasse.
- Ce sentiment d'injustice étant un fonctionnement qui va prendre de la place dans son quotidien et qui va faire partie de ses habitudes, elle aura paradoxalement tendance à se complaire dans cette posture d'opprimé et plus globalement, dans une spirale de sentiments négatifs. Elle ne se rendra d'ailleurs pas compte qu'elle se positionne toujours en "persécutée", même quand son entourage l'alerte sur le fait qu'elle se plaint tout le temps.
- L'entourage étant très impacté par ces plaintes répétées, il y a un risque de mise à l'écart. La personne peut ainsi avoir une tendance au repli sur soi, à la solitude et à la déprime.
Quelles sont les causes d'une blessure d'injustice ?
On peut tous souffrir ponctuellement d'un sentiment d'injustice suite à un événement fragilisant, aussi bien les hommes que les femmes. Pour certains, cette blessure sera passagère, pour d'autres, elle risque de persister et d'être invalidante sur le long terme. "Très souvent, les personnes qui souffrent de cette blessure sont issues d'un entourage qui est engagé contre l'injustice ou dont un membre ou plusieurs ont connu une injustice (par exemple, un parent qui s'est fait licencié de manière abusive, un frère qui s'est fait racketter pendant sa scolarisation, un membre de sa famille qui a connu un chômage persistant...)", explique le psychothérapeute. Autrement dit, elle a grandi dans un modèle dans lequel règne une injustice concrète et aura tendance à reproduire ce schéma. "La blessure peut provenir aussi d'un traumatisme lié à une injustice qu'elle a elle-même vécu. Elle aura tendance à se placer en réponse au premier "non" qu'elle a connu. Par exemple, une personne qui a subi une injustice dans son milieu professionnel risque de développer une aversion ou une hostilité contre, dans un premier temps, toutes les entreprises ou tous les managers qu'elle connaît, puis dans un second temps, développer un sentiment d'injustice général palpable dans tous les secteurs de sa vie", continue notre spécialiste. La blessure d'injustice peut également être liée à un refoulement, autrement dit à une volonté de cacher un mal-être. Ce sont des personnes qui se plaignent en permanence pour ne pas avoir à montrer leurs problèmes personnels (problèmes conjugaux, d'argent, familiaux...). Ces plaintes servent à détourner l'attention sur leurs véritables souffrances. Enfin, le sentiment d'injustice peut être lié à la volonté d'attirer l'attention, de se mettre en scène dans le but de se créer un monde imaginaire douloureux afin que leur entourage s'intéresse à elles. "Elles ne savent plus vraiment comment exister autrement que par la volonté d'attiser la pitié des autres. Ce comportement va leur permettre de compenser un sentiment de honte, un déficit d'attention vécu dans le passé ou un sentiment d'avoir été mis à l'écart" justifie Bruno Vibert.
"Se plaindre tout le temps est une tendance très moderne, voire fédératrice"
Le sentiment d'injustice est par ailleurs associé à un aspect sociétal. "Se plaindre tout le temps est une tendance très moderne, voire fédératrice. Les plaintes sont d'autant plus nourries et exacerbées dans un contexte économique, social et sanitaire difficile. Les gens se confient davantage et expriment plus leurs tracas que le faisaient nos ancêtres. A l'époque, c'était plutôt mal perçu de se plaindre et les gens gardaient leurs problèmes pour soi", observe le psychothérapeute. Désormais, l'utilisation massive des réseaux sociaux a permis de créer un espace géant de parole où tout le monde peut instantanément se plaindre, se lamenter, revendiquer ou dénoncer une injustice et avoir un auditoire à portée d'écran.
Comment guérir de la blessure d'injustice ?
► Accepter de se voir tel que l'on est. C'est la plus grosse difficulté car la personne qui se plaint tout le temps ne se rend pas souvent compte de ce qu'elle véhicule. "Ce qui fonctionne bien, c'est la vidéo. Une personne de l'entourage peut filmer ou enregistrer "le plaintif" et lui montrer ensuite son comportement. Cela permet de faire une mise en miroir pour faire prendre conscience à la personne de son attitude", conseille le psychothérapeute.
► Trouver l'origine de la blessure. "L'émancipation du syndrome de Caliméro va souvent passer par la consultation d'un professionnel (TCC, psychologue, psychothérapeute, psychiatre, hypnothérapeute, sophrologue...) avec lequel on va essayer de comprendre comment ce sentiment a commencé (trouver l'événement traumatique par exemple)", poursuit-il.
Au lieu de dire "j'en ai marre, c'est toujours moi qui range", on va plutôt dire "j'aimerais que chacun range cette pièce".
► Transformer la blessure en force. "Dans un premier temps, il va falloir évacuer la tristesse, la rancœur, la peur ou la colère par l'écrit, le dessin, le chant, la danse... Ensuite, il va falloir arrêter de penser que c'est aux autres de changer, apprendre à formuler ses pensées pour comprendre qu'en face de nous ne se trouvent pas forcément des personnes qui sont contre nous . Mais aussi, accepter que la vie est imparfaite et qu'elle ne peut pas toujours aller dans notre sens. Cela va permettre de prendre du recul et de changer progressivement de posture", détaille-t-il. L'idée principale est donc de ne plus attendre que la réponse ou la solution vienne des autres. Cela peut passer par de la méditation, de l'hypnose, du yoga, de l'acupuncture, de la réflexologie, de la relaxation, de la musicothérapie...
► Continuer à exprimer son mal-être. A force de penser qu'il faut arrêter de se plaindre, on peut avoir tendance à ne plus exprimer ce qui ne va pas et à tout enfouir. "Or, il faut continuer à verbaliser ses doutes, ses mécontentements, ses sentiments d'injustices... lorsqu'ils sont fondés et qu'ils permettent, lorsqu'ils sont évacués, un véritable soulagement. Il est sain et nécessaire d'extérioriser et de ne pas refouler son insatisfaction. Mais la clé, c'est de transformer ses plaintes en actions concrètes. Il y a des plaintes légitimes et constructives. Par exemple au lieu de dire "j'en ai marre, c'est toujours moi qui range ou qui fait le ménage", on va plutôt dire "j'aimerais que chacun range ou nettoie cette pièce". Au lieu de subir, on va être proactif jusqu'à atteindre un but défini", conclut notre interlocuteur. Cela contribue à retrouver une bonne stabilité émotionnelle.
Merci à Bruno Vibert, psychothérapeute.