Deuil pathologique : définition, critères, durée, que faire ?
Lorsque le deuil dure plus d'un an chez l'adulte, on parle de deuil pathologique ou compliqué. Quels sont les critères officiels pour le reconnaître ? Quand consulter ? Quels traitements et thérapie pour s'en sortir ? Définition, durée et solutions avec Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne.
Définition : c'est quoi un deuil pathologique ?
Un deuil désigne la période de souffrance qui suit la perte d'une personne (un décès) ou d'une situation amoureuse, sociale, professionnelle... Un deuil "normal" se déroule selon un processus qui comporte plusieurs phases (choc, déni, colère, tristesse, résignation, acceptation et reconstruction). Chaque deuil est néanmoins unique car il évolue en fonction de sa personnalité, du contexte de la perte, de sa capacité de résilience ou encore du rapport entretenu avec l'objet de la perte. Le deuil pathologique est un processus qui, par sa longueur ou son intensité, est considéré comme complexe et persistant. "Un deuil pathologique est la difficulté de poser un diagnostic entre un deuil normal et une dépression. Il est souvent visible lorsque la perte survient de façon brutale, inattendue, violente, injuste (suicide, meurtre, perte associée à des procédures pénales ou administratives...) ou s'il est lié à la perte d'un partenaire de vie ou celui d'un enfant par exemple", explique Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne. Il est plus long qu'un deuil "normal" et est souvent caractérisé par l'apparition de troubles psychiques, psychiatriques et/ou réactionnels durant la phase de deuil (le plus souvent, ce sont des troubles anxieux ou de l'humeur). Une personne qui présente une pathologie psychiatrique ou des antécédents psychiatriques a davantage de risque de faire un deuil pathologique.
DSM-5, CIM-10 : le deuil pathologique est-il reconnu ?
"Cliniquement parlant, le deuil compliqué a officiellement été reconnu en 2015 comme une maladie dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) de l'American Psychiatric Association (APA) ainsi que dans la classification internationale des maladies (CIM-10) de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS)", assure la psychologue. Ces classifications constituent des guides internationaux qui répertorient toutes les pathologies et les troubles mentaux reconnus dans le monde. Ils sont régulièrement mis à jour par des comités de psychiatres qui définissent pour chaque maladie ses critères officiels.
Deuil pathologique ou compliqué : quelles différences ?
C'est en fait la même chose. Certains professionnels de santé utilisent le terme de "deuil pathologique", d'autres de "deuil compliqué". Le terme retenu par le DSM-5 est "deuil compliqué". "Parler de deuil compliqué a une connotation moins négative à mon sens, souligne notre interlocutrice. Chacun fait son deuil à son rythme et à sa façon. Il n'y a pas de normalité."
Quels sont les critères et les signes pour dire qu'un deuil est pathologique ?
Selon le DSM-5, les critères qui caractérisent un deuil pathologique sont les suivants :
► L'individu a vécu la mort d'un membre proche de la famille ou d'un ami proche il y a au moins 12 mois. Dans le cas d'un enfant, le décès peut avoir lieu il y a 6 mois.
► Depuis le décès, au moins un des symptômes suivants a persisté et à un niveau clinique significatif : tristesse intense, douleur émotionnelle, préoccupations en lien avec le décès.
► Depuis le décès, au moins six des symptômes suivants sont vécus plus souvent que 50% des jours (plus de la moitié du temps) à un degré significatif :
- Difficulté marquée à accepter la mort. Par exemple, la personne en deuil continue à parler du défunt au temps présent, nie la réalité du décès ou arrête de vivre depuis le décès.
- Fait de se sentir choqué, abasourdi ou émotionnellement engourdi par la perte.
- Difficulté à se remémorer positivement des événements en lien avec la personne décédée.
- Sentiment d'amertume et de colère lié à la perte.
- Evaluations inadaptées sur soi-même en relation avec le défunt ou le décès (auto-accusation par exemple).
- Evitement excessif de rappels de la perte (refus d'en parler, nier en bloc).
- Désir de mourir pour être avec la personne décédée.
- Difficulté à faire confiance à d'autres personnes depuis le décès (hostilité à l'égard des autres).
- Sentiment de solitude ou de détachement d'autres personnes depuis le décès.
- Sentiment de vacuité sans le défunt, conviction qu'on ne peut pas fonctionner sans la personne décédée.
- Confusion au sujet de son rôle dans la vie ou une diminution du sentiment de l'identité.
- Difficulté ou réticence à poursuivre des intérêts depuis le décès ou difficulté à planifier l'avenir.
► La perturbation cause une détresse cliniquement significative ou une détérioration dans le fonctionnement social, occupationnel, ou d'autres aspects importants du fonctionnement de l'individu (peur et angoisse constante d'une nouvelle catastrophe, de perdre quelqu'un une nouvelle fois...).
► La réaction du deuil doit être disproportionnée ou en désaccord avec les normes culturelles, religieuses ou de l'âge du patient.
Quelle est la durée d'un deuil pathologique ?
Il est souvent admis qu'un deuil "normal" dure entre 8 et 12 mois pour un adulte. Les références internationales disent qu'un deuil est compliqué lorsqu'il dure plus longtemps que 12 mois chez un adulte et 6 mois chez un enfant.
Quel traitement, quand consulter ?
Dans la mesure où un deuil est toujours une source de grande souffrance, un accompagnement est utile voire souhaitable pour tout deuil et nécessaire pour tout deuil compliqué ou pathologique. Il convient de consulter un professionnel de santé (médecin généraliste, psychologue, psychiatre...) "lorsque le deuil est trop perturbant et invalidant pour la personne endeuillée et/ou lorsqu'apparaissent des troubles psychiatriques pendant le deuil (états anxieux, épisodes maniaques, troubles psychotiques, troubles addictifs...)", indique notre interlocutrice. De même, des problèmes de santé qui persistent (prise ou perte de poids significative, maladies à répétition...), une dépression, la présence d'idées suicidaires ou d'actes d'auto-sabotage dans le domaine personnel ou professionnel nécessite une aide médicale ou le suivi d'une psychothérapie qui permettra de mieux exprimer ses souffrances et accepter la douleur. Cette prise en charge peut être complétée par la prescription d'antidépresseurs (par exemple, des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ou tricycliques) ou d'anxiolytiques adaptés.
Quelle thérapie pour un deuil compliqué ou pathologique ?
Si vous vivez un deuil compliqué, il peut être intéressant de suivre une psychothérapie ou de consulter un professionnel de santé. SI l'un de vos proches est dans cette situation, vous pouvez lui proposer de rencontrer un psychothérapeute et de faire un travail psychologique.
► La psychothérapie individuelle comme la psychothérapie de soutien permet à la personne endeuillée de parler des circonstances du décès, des émotions qu'elle ressent ou des difficultés auxquelles elle doit faire face depuis la perte. Elle est accompagnée à chaque étape du deuil. La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) a pour but d'identifier les pensées "irrationnelles" ou "erronées" liées à la perte et de les modifier. Elle est particulièrement recommandée en cas de troubles anxieux, d'états dépressifs/obsessionnels ou lors d'un état de stress post-traumatique.
► La psychothérapie de groupe comme les groupes de parole ou les groupes d'entraide réunissent des personnes qui ont vécu ou qui vivent la même expérience. Ce lien social permet de s'apporter mutuellement de l'aide et du soutien. Les groupes sont menés par des professionnels (psychologues ou psychiatres) ou par des bénévoles formés.
Merci à Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne.