Des milliards pour élucider le cerveau

Pour mieux comprendre le cerveau et donc mieux lutter contre Alzheimer, Parkinson, la sclérose en plaques, les AVC et bien d'autres pathologies, il faut des milliards. Deux ambitieux programmes de recherche, aux États-Unis et en Europe, parlent enfin ce langage.

C’est désormais officiel, l’administration Obama lance un programme de grande envergure visant à mieux comprendre le fonctionnement du cerveau. Les rumeurs évoquaient un milliard de dollars sur dix ans, ce sera pour commencer 100 millions de dollars (soit environ 77 M€) de financement public pour la première année, 2014. 

Mais le milliard devrait au final être largement dépassé. Tout d’abord parce qu’il est question d’accroître progressivement le budget annuel, et que l’on envisage déjà de prolonger le programme au delà des dix ans - on parle même de vingt. Mais surtout, des fondations privées ajouteront leur contribution au financement public. Ainsi le Allen Institute for Brain Science prévoit de dépenser 60 M$ par an, et le Howard Hugues Medical Institute 30 M$ par an. 

L’acronyme choisi annonce la couleur. BRAIN signifie «Brain Research through Advancing Innovative Neurotechnologies» (soit «Recherche sur le cerveau par la promotion de neurotechnologies innovantes»). En d’autres termes, il s’agira surtout de faire avancer toutes sortes de technologies d’exploration, permettant d’améliorer notre compréhension du fonctionnement du système nerveux, à toutes les échelles. Oublié le «Map» («carte») des versions préliminaires, qui semblait promettre à terme un plan complet du cerveau humain, jusqu’au dernier neurone. 

Le discours officiel compare pourtant cette initiative au Human Genome Project, lequel avait abouti au décryptage complet de notre patrimoine génétique. Pour atteindre cet objectif, il avait fallu dépenser 3,8 milliards de dollars (2,9 G€) pendant quinze ans (1988-2003). Au final, donc, une carte complète de notre ADN, qui a engendré une véritable révolution génomique. Mais pour obtenir ce résultat, le programme a d’abord financé une amélioration considérable des technologies de séquençage génétique. Conséquence, on sait aujourd’hui lire le génome d’un humain pour quelques milliers de dollars, on a donc divisé par un million le coût de cette opération hier surhumaine et désormais banale. 

Pour le projet Brain, l’administration Obama choisit de désigner clairement cet objectif : améliorer tous azimuts les outils permettant d’explorer le cerveau. De l’écouter, le regarder, le cartographier, etc. Cela à l’échelle du neurone comme des grandes structures qui constituent notre système nerveux central. Et l’on verra bien quel genre de «carte du cerveau» cela nous permet de dessiner à terme, dans dix… ou vingt ans.  

De son côté l’Europe a choisi une direction qui peut sembler terriblement plus ambitieuse. Le Human Brain Project, auquel la communauté européenne devrait consacrer 1,2 milliard d’euros sur 10 ans, se propose en toute modestie de simuler le cerveau humain, à l’aide de logiciels et de gigantesques supercalculateurs. Mais bien entendu cela suppose d’avoir en chemin compris comment fonctionne chaque petit compartiment de notre cerveau… Et si l’on regarde au-delà des formules voyantes dans la vitrine, on trouve un programme qui vise d’abord à l’amélioration de toutes sortes d’outils d’exploration du cerveau. Simuler est d’ailleurs une façon d’explorer, en permettant de valider des modèles théoriques. 

Des deux côtés de l’Atlantique, la science du cerveau est donc enfin admise dans le club de la «big science», celle qui obtient, parce qu’elle le vaut bien, des milliards pour s’offrir les télescopes ou accélérateurs dont elle a besoin. Il ne s’agit plus, cette fois, de comprendre la matière ou l’univers, mais cet organe qui fait de nous… des hommes. Ce qui permettra sans doute de répondre à quelques grandes questions sur la nature humaine, mais aussi plus sûrement de trouver des remèdes contre ces terribles maladies qui nous assaillent à l’heure où les progrès de la médecine nous permettent de jouer les prolongations du troisième âge.