La cigarette cause toujours plus de cancers. Une fatalité ?
La cigarette est responsable de 48,5 % des quelque 346 000 décès causés par 12 cancers aux Etats-Unis. Et en France, la situation est-elle similaire ? Le point sur les effets du tabagisme sur le cancer.
Le chiffre fait froid dans le dos : selon une étude publiée lundi dans la revue américaine Journal of the American Medical Association (JAMA), la moitié des décès attribués aux cancers sont attribués au tabagisme. Les auteurs de cette étude ont passé en revue les 346 000 décès survenus en 2011 suite à un cancer chez les plus de 35 ans aux Etats-Unis. Leur conclusion est assez édifiante : 48,5 % de ces décès ont été attribués au fait de fumer des cigarettes. Au total, douze cancers différents sont impliqués. Mais trois d'entre eux sont particulièrement meurtriers. En effet, 75 % des décès surviennent à la suite d'un cancer du poumon, des bronches ou de la trachée. Et si les cancers de la cavité buccale, de l’œsophage et de la vessie sont moins nombreux, environ la moitié résulte du tabac, concluent les chercheurs.
"Fumer des cigarettes continue à être responsable d'un grand nombre de morts à cause de multiples cancers malgré cinquante ans de réduction du tabagisme", résument les auteurs de cette étude. L’un d'eux, Rebecca Siegel de l'American Cancer Society à Atlanta, insiste ainsi sur la nécessité de poursuivre les progrès pour réduire la mortalité de ces cancers et des maladies graves qu’ils provoquent avec "des mesures plus musclées encore", mais aussi "plus ciblées, via le contrôle des produits du tabac et les campagnes de prévention pour l’aide au sevrage tabagique". Au total, malgré des progrès spectaculaires, 18% de la population américaine fument aujourd'hui, contre 42% en 1964.
En France aussi, fumer provoque le cancer. Selon les dernières estimations de l’Inserm, le tabac tue 78 000 personnes en France chaque année. Parmi ces décès, on estime que 47 000 sont liés à un cancer consécutif au tabac, dont environ 28 000 cancers du poumon. Le tabac causerait aussi 20 000 décès par maladies cardio-vasculaires et 11 000 décès par maladie respiratoire (notamment la bronchite chronique obstructive). Le nombre de décès par cancer en France étant par ailleurs estimé à 148 000, la part du tabac représente 32 % des décès, soit une proportion moindre que celle établie par l'étude américaine, mais néanmoins élevée.
Les femmes fument de plus en plus. Certes, on est loin du temps où un Français sur deux était fumeur. Ça, c’était avant la loi Veil de 1976 et l’arrivée du premier texte "anti-tabac". Toutefois, après plus de 30 ans de législations toujours plus restrictives pour les fumeurs, des campagnes de prévention contre le tabagisme et une hausse progressive du prix du paquet de cigarettes, la France compte près de 16 millions de fumeurs, soit 32 % de fumeurs tous âges confondus. Entre 18 et 34 ans, près d’une personne sur deux fume. Et si le tabagisme tend à diminuer chez les hommes depuis les années 60, passant ainsi de 57 % à 32 % aujourd’hui, les femmes fumeuses sont de plus en plus nombreuses (26 % aujourd'hui, versus 10 % en 1960). Résultat, selon une étude de prévisions statistiques réalisée sur l’ensemble de l’Union européenne, le cancer du poumon devrait tuer plus de femmes que le cancer du sein cette année !
Politiques de santé "médiocre". Si les paquets de cigarettes exposent bien des messages parlants sur ses dangers, force est de constater que les politiques de prévention de ces dernières années ont eu des effets limités en terme de réduction du tabagisme. Un rapport de la Cour des Comptes, publié en 2012, pointe d'ailleurs non sans sévérité la politique de lutte contre le tabagisme, la qualifiant même de "médiocre". "Malgré une dangerosité désormais reconnue, une grave méconnaissance des risques liés au tabagisme persiste néanmoins au sein de la population, et les résultats des politiques de lutte contre le tabagisme ne sont pas à la hauteur d’un tel enjeu de santé publique", résume ainsi la Cour des Comptes.
Ainsi, les moyens financiers sont insuffisants en terme de politique de santé publique, pointe le rapport. De même que les financements alloués à la recherche en épidémiologie. Ainsi, alors que la communication est un outil indispensable à la lutte contre le tabagisme, la modestie des moyens consacrés à cette action en limite la portée : "ils sont près de dix fois moins importants que ceux consacrés à la communication sur la sécurité routière, alors même que le tabac provoque un nombre de décès sans commune mesure avec les accidents de la route."
Il est vrai que le tabac met également en jeu d’importants intérêts économiques et financiers. Les ressources tirées de la fiscalité du tabac atteignent près de 15 milliards d'euros par an. On comprend dès lors que l'Etat n'ait pas vraiment intérêt à augmenter massivement le prix du paquet de cigarette. Même si une vision à plus long terme, comme souvent en santé, pourrait être pertinente : le rapport de la Cour des Comptes estime que l’ensemble des dépenses de santé liées au tabagisme s’élève à 18 milliards d’euros.
Paquet neutre, et après ? Marisol Touraine a fait de la lutte contre le tabagisme l’une de ses priorités. Plusieurs mesures ont d’ores et déjà été annoncées, dans le cadre du Plan Tabac 2014, en particulier celles ciblant les jeunes. La ministre a d’ailleurs affiché un objectif ambitieux : réduire le nombre de fumeurs à 20 % dans 10 ans. Mieux, la ministre souhaite que "les bébés qui naissent aujourd'hui soient la première génération de non-fumeurs." Alors qu'1 jeune sur 3 fume tous les jours, elle souhaite qu'ils soient moins de 5 % dans 20 ans. Autre grande annonce de ce plan, l’arrivée du paquet neutre prévue pour 2016. Une mesure qui s’inspire de l’Australie, qui compte désormais 18 % de fumeurs. A une différence près, que la mesure a été couplée à une forte augmentation des prix des paquets. Sur ce point, aucune augmentation ferme du prix du tabac n’est prévue dans le cadre du plan anti-tabac et l’arrivée du paquet neutre semble donc être surtout une mesure symbolique visant à décourager les jeunes à commencer à fumer. Enfin, aucune mesure de santé publique ciblée vers ceux qui fument actuellement, donc à court terme, n’a été annoncée.
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