La tendresse

Quels liens peuvent subsister entre deux personnes des années après leur séparation ? S’agit-il encore d’amour ? D’amitié ? De complicité ? Ou plutôt de tendresse ? Et qu’est-ce au juste que ce sentiment ? Faut-il le cultiver ou au contraire s'en méfier ?

Passés les premiers mois ou les premières années de passion amoureuse, la plupart des couples tissent peu à peu entre eux d’autres liens faits de complicité, de solidarité, de bonheurs et de soucis partagés. On peut appeler cela de la tendresse. Un joli sentiment comme dit la chanson de Bourvil qui se mêle à l'amour, s'y substitue parfois au fil du temps, et qui, parfois même, lui survit.

Ni de l’amour, ni du désir

Cette tendresse, c'est le sujet et le titre d'un film de Marion Hänsel sorti en octobre 2013. Il met en scène un couple, séparé depuis quinze ans, et qu’un événement un peu particulier amène à redécouvrir ce qui les a attirés l’un vers l’autre. Malgré le temps, malgré les années de silence et d’éloignement, quelque chose resurgit entre eux avec une facilité qui les déconcerte un peu. Pourtant Frans (Olivier Gourmet) est remarié et semble heureux avec sa nouvelle compagne. Pourtant Lisa (Maryline Canto), même si elle vit seule avec Jack, leur fils de vingt ans, apparaît comme une femme dynamique, pleine de vie. C’est le hasard qui les réunit le temps d’un long trajet en voiture : Jack s’étant cassé la jambe en skiant dans les Alpes, ils décident, faute de pouvoir le faire rapatrier, d'aller le chercher ensemble à Flaine et de le ramener à Bruxelles. Un voyage qui leur donne l’occasion de ressentir avec force ce sentiment qui n’est plus de l’amour, ni du désir -  ils n’ont aucune envie de dormir dans le même lit -  mais que le film désigne justement sous le nom de tendresse.

A première vue, le mot renvoie pourtant à des notions qu’on n’attendrait pas forcément ici. Etre tendre c'est être fragile, délicat, mais c'est aussi, et peut-être même surtout, être neuf, naïf, jeune. Comme le bois vert, comme les jeunes pousses. Or Lisa et Frans ne sont pas précisément un jeune couple, pas même un couple du tout, puisque que Frans a quitté Lisa depuis bien longtemps déjà. Alors, d’où vient cette impression de rajeunissement que leur procure ce voyage et qu’ils constatent l’un un l’autre non sans émotion ?

Retrouver sa jeunesse ?

Au-delà d’une solidarité de parents qui peut se manifester en cas de coup dur, face par exemple à la maladie d’un enfant, ce qu’ils découvrent ou redécouvrent entre eux, à l’occasion de ce voyage, c’est sans doute leur jeunesse. Chacun la sienne et celle de l’autre. Ce qui les avaient séduits, on le devine, quand ils s’étaient rencontrés : la spontanéité fantasque de Lisa, le côté ours bourru mais bienveillant de Frans. Mais ce qu’ils retrouvent, c’est aussi ce que la vie ensemble avait fini jadis par leur masquer. Les manières d’être charmantes qui étaient devenues au fils du temps des manies figées, insupportables. Les attentions que l’autre ne remarquait plus et que, de ce fait, on se lassait d’avoir. 

Le film élude très vite tout ce que ces retrouvailles pourraient avoir de négatif. Il n’y a pas d’amertume, pas de regrets. A peine parfois un voile léger de nostalgie. Ils le savent tous les deux : on ne revient pas en arrière. A la fin, Lisa remercie Frans qui fait un peu semblant de ne pas comprendre. « Merci pourquoi ? C’est notre fils. » Un échange de  bises, et  il s’en va  tandis qu’elle le regarde partir avec un léger sourire.

Ce que nous apprend cette histoire

D’abord, peut–être, que lorsque le deuil du sentiment amoureux est fait, il est possible de retrouver en soi, intact, ce qu’une relation a inscrit en vous de bon.

Ensuite, qu’il ne faut pas confondre cette tendresse avec un amour qui pourrait se réactiver. Les places se sont redistribuées et la nouvelle compagne d’Olivier a la sienne, qui pourrait se trouver  menacée si Lisa se prêtait à la confusion des sentiments.

Enfin  que cette tendresse, nourrie des mille petites complicités de la vie à deux, ce serait dommage d’attendre d’être séparés pour se rendre compte qu’elle existe et pour la cultiver.

Crédit photo : Epicentre Films